© Nathanaël Mergui/FNMF

Logistique : risques en stock

par Stéphane Vincent François Desriaux / avril 2016

La logistique fait partie de ces secteurs en tension, qui peinent à recruter. Lorsqu'une plate-forme vient s'installer dans une région sinistrée en matière d'emplois, désertée par l'industrie traditionnelle, c'est une aubaine pour la lutte contre le chômage. Mais à quel prix ?

Du côté des conditions de travail, le bilan est sombre : accidents en nombre, pénibilités et troubles musculo-squelettiques... La note est salée pour la santé des salariés et pour l'image de ces entreprises.

Travailler dans ce secteur n'a pas toujours été aussi dur. Préparateurs de commandes ou chauffeurs routiers ont disposé un temps de plus d'autonomie leur permettant de faire un travail de qualité. Mais ces dernières décennies, tout a changé, le travail s'est taylorisé, intensifié. Dans les entrepôts, le guidage par reconnaissance vocale a transformé les préparateurs en automates, plus proches du robot que de l'homo sapiens. Cette déshumanisation du travail, on la retrouve chez les conducteurs, géolocalisés, à la feuille de route tracée par ordinateur...

Heureusement, des employeurs et les institutions de la prévention ont pris conscience d'une situation qui ne peut pas durer. Des initiatives se font jour pour faire prévaloir la prévention et la santé au travail. C'est timide, incertain, mais ça existe. C'est déjà ça.

Chez FM Logistic, l'ergonomie porte ses fruits

par Elsa Fayner / avril 2016

A Ressons-sur-Matz, dans l'Oise, la direction et le CHSCT de l'entrepôt FM Logistic, avec l'appui de l'ergonome du groupe, recherchent des solutions innovantes pour réduire les facteurs de pénibilité. Le bilan est encourageant. Reportage.

Le chariot de préparation de commandes bouge tout seul. Il avance, tourne, tandis que la préparatrice marche à ses côtés. Il suffit à celle-ci d'appuyer sur un bouton pour le téléguider jusqu'aux prochaines palettes à vider. Un bouton qui se trouve... sur son gant. Une nouveauté. "Je n'ai plus besoin de monter dessus à chaque fois que je veux le déplacer, ça m'évite des mouvements et des à-coups, témoigne Corinne Chifcot. J'ai moins mal au dos." Et quand il lui faut conduire l'engin pour faire un plus long trajet, la marche d'accès est plus basse que sur l'ancien modèle, qui va peu à peu être remplacé. Ce véhicule téléguidé a fait ses preuves, se félicite Caroline Vanhoutte, responsable qualité, hygiène, sécurité et environnement (QHSE) de l'entrepôt FM Logistic à Ressons-sur-Matz (Oise).

Dans ce lieu lumineux, tout neuf, on emballe à la fois du matériel de bricolage Henkel, distribué dans les magasins Castorama, Leroy Merlin ou Carrefour, et des produits cosmétiques pour 550 magasins et drives Leclerc. Ces marchandises sont entreposées sur quatre étages dans des allées arpentées par des employés qui travaillent sous guidage vocal, un casque audio rivé sur les oreilles. A chaque fois qu'ils sont arrivés à destination, ils doivent en informer la machine, via le micro intégré. Le système qu'ils utilisaient auparavant ne reconnaissait pas toujours les voix. "On en voyait s'énerver tout seuls dans les allées pour essayer de se faire comprendre de la machine", se souvient Ange Ruiz, chef d'équipe et membre du CHSCT. Il fallait également "beaucoup parler", tandis qu'un désagréable bip revenait régulièrement. Le nouveau système s'en est débarrassé.

Des tables à rouleaux

"Ils sont très attentifs à nous, ici, déclare le représentant du personnel, non syndiqué. Ils testent tout : des modèles de chaussures de sécurité, des collants pour les caristes l'hiver..." Quid des restrictions d'aptitude qui se multiplient dans la seconde partie de l'entrepôt, celle du conditionnement à façon ? Là, il s'agit de remplir des sacs de produits en promotion et des présentoirs en carton qui iront dans les magasins. Pour ce faire, les opératrices de cet atelier doivent retourner d'un geste sec des cartons, effectuer des mouvements rapides, à cadence soutenue, pour un travail proche de la chaîne. "Tu rentres, t'es K-O", lâche Séverine Cheridaud, cheffe de ligne. Des tables à rouleaux ont été achetées, des plans de travail ont été rehaussés et un "robot collaboratif" doit bientôt les aider. Mais "on a encore beaucoup à faire,parce que les gestes restent tout de même très répétitifs", reconnaît l'ergonome Samya Bellhari-Trahin

Après avoir travaillé dans un cabinet de conseil en ergonomie, cette dernière a été recrutée voilà bientôt deux ans pour intervenir sur tous les sites de FM Logistic. Fait rare dans le secteur, mais vaste tâche pour la professionnelle. D'entreprise familiale, le prestataire en support logistique est devenu un groupe international et compte 27 entrepôts sur le territoire français, employant 4 500 salariés. Celui de Ressons-sur-Matz a été construit en 2012 et Samya Bellhari-Trahin y a été particulièrement sollicitée. Les taux de fréquence des accidents du travail et d'absentéisme y étaient élevés, rappelle Alain Kerinec, le directeur, qui a commencé il y a trente ans à la préparation de commandes et qui entend "préserver la santé" de ses salariés. A la demande de la direction, du CHSCT ou du responsable QHSE, l'ergonome peut intervenir sur trois volets : la conception et la transformation des locaux et des activités, la prévention des risques professionnels, la performance des organisations. Pour des résultats jusqu'à présent encourageants.

En 2010, le taux de fréquence des accidents du travail était de 67 dans l'entreprise au niveau national. En 2015, il est descendu à 41 - pour 200 accidents avec arrêt en France -, contre 50 en moyenne dans la profession. Le taux de gravité est passé de 3,5 à 2,3 durant ces cinq années. Près de la moitié des accidents concerne toujours la manutention, tandis qu'un quart implique des engins. "Ça reste un axe de travail", souligne l'ergonome, qui a commencé par observer les situations de travail, suivant les salariés "à toutes les heures du jour et de la nuit" dans leurs tâches, filmant leurs gestes, menant des entretiens, faisant remplir des questionnaires. Une fois que les situations sont "objectivées", le diagnostic est discuté d'abord avec le comité de pilotage, composé a minima du directeur de la plate-forme, des responsables RH et QHSE, d'un élu du CHSCT et du médecin du travail, puis dans un groupe de travail constitué d'opérateurs concernés, afin de coconstruire des solutions.

Une dalle à fûts

Comme à Châlons-en-Champagne, où l'entrepôt recevait des fûts de liquide de nettoyage de plus de 200 kilos. Lourds, fragiles et bas, ces colis n'étaient pas évidents à manipuler et les salariés devaient les tirer, par à-coups, afin de les déplacer. "Une pince avait été achetée, mais elle n'était pas utilisée", indique Samya Bellhari-Trahin : les tonneaux étaient mélangés à d'autres contenants et trop serrés. En outre, les ouvriers passaient du temps à réorganiser les palettes, ce qui impliquait des manipulations supplémentaires, jusqu'à doubler le tonnage transporté. "Nous avons à la fois travaillé sur l'aspect informatique de l'organisation et imaginé une dalle à fûts sur laquelle la pince pouvait être utilisée, raconte l'ergonome. En groupe de travail, nous avons dessiné les plans de la dalle en 2D et en 3D." Aujourd'hui, les accidents du travail ont disparu de ce poste et les 200 kilos ne sont plus manipulés à la main.

Depuis 2015, neuf maladies professionnelles ont été reconnues au niveau national dans l'entreprise, mais ce sont surtout les restrictions médicales qui préoccupent le directeur de l'entrepôt de Ressons-sur-Matz et son équipe. "Elles ont diminué dans leur ensemble, constate le responsable RH, Christophe Bammez. Mais c'est plus mitigé sur les moins de 5 kilos." Autrement dit, le nombre d'employés qui ne doivent pas porter plus de 5 kilos ne baisse pas. Pas évident dans un entrepôt de manutention, où les postes administratifs ne sont pas assez nombreux pour les reclassements. "Ce sont aussi des points de vigilance à avoir, note l'ergonome. Les restrictions d'aujourd'hui pourront être les maladies professionnelles de demain."

L'état de santé des salariés peut aussi être corrélé à l'ambiance au travail. Le taux d'absentéisme était de 4,04 % en 2014 à Ressons, pour grimper à 4,26 % en 2015. Samya Bellhari-Trahin en est au diagnostic. Cette fois, elle a utilisé un jeu destiné à aider les salariés à verbaliser. La charge de travail, l'organisation interne, les pratiques managériales, le climat social et les "conflits de valeurs" ont été mentionnés. Pour l'ergonome, tout est lié, "troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux, bien-être Ce sera le prochain - et vaste - chantier. Début 2016, le taux d'absentéisme a déjà commencé à baisser.