La reconnaissance de la maladie professionnelle, déjà semée d’embûches, ne signe pas pour autant la fin des difficultés pour le salarié victime. Car s’il souhaite faire reconnaître une forme de responsabilité de son employeur dans l’apparition de sa pathologie et obtenir une indemnisation en conséquence, il risque fort de se heurter à des procédures tout aussi complexes.
La dégradation de son état de santé en raison de sa maladie professionnelle peut donner lieu à deux contentieux distincts : l’un devant le juge du travail, le conseil de prud’hommes, l’autre devant le juge de la Sécurité sociale, le pôle social du tribunal judiciaire. Les deux procédures se déroulent en même temps, sans que les deux juges communiquent et sans que la décision de l’un ne lie l’autre. Et sans même que l’un ait à surseoir à statuer dans l’attente de la décision de l’autre.
Devant les deux juges, le manquement de l’employeur à son obligation, cardinale, de sécurité et de protection de la santé sera invoqué. Mais il le sera dans des buts différents, suivant des procédures différentes, devant des compositions de jugement différentes, et avec des argumentaires juridiques qui, s’ils veulent prospérer, ne peuvent en aucun cas être les mêmes. En effet, il n’est pas rare que la maladie soit le produit de conditions de travail délétères que le salarié reproche à l’employeur. Si ce dernier a manqué à son obligation de sécurité, ce qui justifie le versement d’une réparation au-delà de celle doublement forfaitaire prévue au code de la Sécurité sociale, il s’agira de saisir le pôle social du tribunal judiciaire, juge de la Sécurité sociale, pour demander la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (CSS, art. L. 452-1).
Une rente majorée en cas de faute de l’employeur
Cette faute permet à la victime d’obtenir une réparation améliorée, sans pour autant être intégrale. Ainsi, sa rente sera majorée. Mais contrairement aux idées reçues, cette majoration n’équivaut au doublement de la rente que pour les taux d'incapacité inférieurs à 50%. En raison du calcul arithmétique qui gouverne les rentes, les salariés qui conservent les séquelles les plus importantes obtiendront paradoxalement la majoration de la rente la moins significative. Pour un taux d’incapacité de 90%, par exemple, la majoration de la rente ne représente ainsi que 5% d’augmentation.
Lorsque le salarié a une incapacité totale, il n’y a pas de majoration de rente possible et il pourra seulement recevoir, s’il pense à la demander, « une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation » (CSS, article L. 452-3). Il pourra également se voir indemniser des postes de préjudices non compris dans la rente, tels le préjudice d’agrément (l’impossibilité d’exercer une activité sportive ou de loisirs qu’il pratiquait avant la maladie) ou le préjudice esthétique, lorsque son apparence physique est altérée…
Au soutien de sa demande, le salarié devra démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il l’a exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Les auteurs estiment que la conscience du danger est acquise dès lors que le risque auquel le salarié a été exposé figure dans un tableau de maladie professionnelle, même quand la maladie qui l’affecte n’est pas celle désignée par ce tableau.
Les tableaux de maladies professionnelles annexés au code de la Sécurité sociale agissent ainsi comme un instrument de recensement des risques dont l’employeur est présumé avoir conscience, même s’ils ne constituent pas une liste exhaustive. Pour ce qui concerne les « mesures nécessaires » que l’employeur aurait dû prendre pour préserver le salarié, la jurisprudence estime qu’elles doivent présenter un caractère « efficace » : la survenance de la maladie devrait donc suffire à considérer que l’employeur ne les a pas prises. Dans ce cas, même si le manquement à l’obligation de sécurité est sous-jacent, ce n’est pas lui qu’il faut démontrer. Il faut s’en tenir aux seuls éléments de qualification de la faute inexcusable. S’écarter de cet argumentaire peut conduire le salarié à être débouté de ses demandes.
Contester le licenciement pour inaptitude
Il n’est pas rare non plus que les séquelles conservées par le même salarié entraînent son inaptitude à son emploi, voire à tout poste dans l’entreprise, et donc son licenciement. Les statistiques sur le nombre des inaptitudes sont d’ailleurs alarmantes. Dans le cas d’une inaptitude d’«origine professionnelle », le salarié bénéficie d’un doublement de son indemnité légale de licenciement et d’une indemnité compensatrice de préavis à laquelle n’a pas droit le salarié qui souffre d’une inaptitude d’origine non professionnelle. Curiosité de la jurisprudence, cette « origine professionnelle » est indépendante devant le juge du travail du rejet de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), si l’employeur a été informé de cette origine.
Le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement pour que soit reconnue la faute de l’employeur dans la survenance de l’inaptitude. Et cette fois, il s’agira bien de démontrer que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité. La victime peut également lui reprocher de n’avoir pas mis en œuvre son obligation de reclassement, avec pour objectif de bénéficier de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Bien que limitée par un barème depuis les ordonnances Macron, cette indemnité peut représenter une somme conséquente lorsque le salarié dispose d’une ancienneté importante.
En ce cas, c’est bien le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité qui est en cause, au sens des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. Il ne s’agit donc pas de dupliquer l’argumentaire développé devant le juge de la Sécurité sociale. Pour une même lésion, les victimes et leurs avocats sont ainsi exposés à une complexité qui ne devrait pas avoir lieu d’être.
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