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Les maux du chômage

par François Desriaux / janvier 2011

Depuis près de quarante ans, la France est engluée dans un chômage de masse. Et les politiques de l'emploi se succèdent avec une même constante : leur impuissance à régler ce problème majeur, lequel laisse sur le bord du chemin les deux bouts de la chaîne des âges. Les jeunes galèrent de plus en plus pour accéder au marché du travail et les plus anciens peinent toujours davantage à s'y maintenir.

Régulièrement objets de débat, notamment à l'occasion des consultations électorales, ces politiques de l'emploi sont avant tout critiquées au regard de leur impact sur notre modèle social. Ce faisant, les discussions n'en abordent que très rarement deux conséquences pourtant lourdes : la dégradation des conditions de travail et la mauvaise santé des chômeurs, voire plus largement des salariés. C'est l'objet de ce dossier que de remettre en perspective les relations entre emploi, conditions de travail et santé.

Quelles que soient la période considérée et la couleur politique de ses promoteurs, chaque modèle utilisé par les gouvernements a eu plutôt un impact négatif sur l'évolution des conditions de travail. La lutte contre les " rigidités du marché de l'emploi " a fait exploser le travail précaire, avec son cortège de tâches pénibles, et a amoindri la capacité des salariés à porter des revendications collectives sur cette question. Même si ce n'est pas politiquement correct, chaque syndicaliste a parfaitement intégré la petite musique selon laquelle " c'est déjà bien beau d'avoir un emploi, il ne faut pas se montrer difficile sur les conditions de travail ".

Même la fameuse RTT a été un instrument au service de l'emploi plutôt qu'à celui de l'amélioration des conditions de travail. L'échange " 35 heures plus embauches " contre " flexibilité et intensification " a été catastrophique pour certaines catégories de travailleurs, ceux précisément qui étaient déjà les plus mal lotis en termes de contraintes et d'absence de marges de manoeuvre.

On sait depuis longtemps que le chômage signifie mauvais état de santé et surmortalité. Probablement parce que l'absence de travail est angoissante et provoque la perte d'estime de soi, avec les maux qui vont avec, telles les conduites addictives. Probablement aussi parce que la pauvreté, en particulier dans le cas du chômage de longue durée, synonyme de conditions de vie délétères, favorise l'apparition de pathologies. Mais il ne faut pas perdre de vue que la maladie est fréquemment à l'origine de la perte de travail, comme des difficultés à en retrouver un. Et lorsque l'éviction durable du monde du travail pour raison de santé est due à de mauvaises conditions de travail, on se dit qu'on atteint là le sommet de l'injustice sociale !

Des parcours professionnels hachés, marqués par la précarité, sont le lot de ces actifs qui n'ont pas la chance d'être des " athlètes " du travail, mais ne sont néanmoins pas suffisamment atteints pour bénéficier d'un statut de travailleur handicapé ou invalide.

On le voit, la persistance d'un niveau de chômage élevé est l'un des terreaux de la discrimination " collective " au travail fondée sur l'état de santé ou le handicap. Une telle atteinte aux droits fondamentaux devrait au moins inciter l'ensemble des acteurs - depuis ceux de terrain, dans les entreprises, jusqu'aux plus hauts responsables politiques - à ne jamais considérer la question de l'emploi comme étant séparée de celle du travail et de celle de la santé.

L'avenir compromis des licenciés pour inaptitude

par François Jabot médecin du travail du service de santé au travail ALSMT Amélie Adam médecin du travail du service de santé au travail ALSMT Corinne Martinet médecin du travail du service de santé au travail ALSMT / janvier 2011

Une étude menée par un service de santé au travail montre que le retour à l'emploi des salariés licenciés pour inaptitude est souvent difficile, notamment pour ceux ayant des problèmes rhumatologiques.

Mme X, 51 ans, a débuté sa vie professionnelle par un travail en usine de conditionnement de barquettes de viande, suivi d'un arrêt de quelques années pour élever ses trois enfants. Puis elle a travaillé pendant six ans comme aide à domicile auprès de personnes âgées ou handicapées.

Ce travail lui plaisait bien, le lien relationnel avec les personnes compensant les pénibilités liées au métier : gestes répétitifs, port de charges, déplacements multiples, travail décalé, exigences des clients... Mais progressivement, les douleurs d'épaules et les lombalgies ressenties depuis des années ont entraîné une répétition des arrêts de travail, avant un licenciement pour inaptitude médicale.

Depuis un an, elle est au chômage. Les organismes d'insertion ou Pôle emploi lui proposent peu de solutions. On lui dit qu'une formation à son âge et avec son faible niveau scolaire paraît difficile. Pour l'invalidité, elle n'est pas assez atteinte, et la retraite n'est pas encore pour maintenant.

Ce cas illustre les résultats d'une étude, réalisée en 2007 et 2008 dans un service de santé au travail, sur le devenir professionnel des salariés déclarés inaptes à leur poste, et recontactés un an après par une assistante sociale.

Dans cette étude portant sur 341 salariés, les femmes représentent 62 % des inaptes, bien qu'elles ne constituent que 46 % de la population suivie. La fréquence de l'inaptitude augmente évidemment avec l'âge : 57 % des inaptes ont 45 ans ou plus. Les problèmes rhumatologiques sont seuls en cause dans la moitié des cas et les souffrances psychologiques dans 22 %. Si la pénibilité physique reste responsable de la majorité des cas d'inaptitude (69 %), les causes psycho-organisationnelles sont devenues fréquentes (38 %).

Plus dur pour les femmes

Un an après l'inaptitude, sur les 221 personnes retrouvées, seules 18 % sont au travail ; 47 % sont demandeuses d'emploi et 27 % sorties du monde du travail (retraite, invalidité). La reprise d'une activité semble liée à l'âge mais aussi au sexe : 12 % des femmes contactées travaillent, contre 30 % des hommes, et aucune femme de 55 ans ou plus n'a retrouvé un emploi.

L'origine des inaptitudes joue également. Celles délivrées en raison de problèmes psychiques permettent de quitter un milieu destructeur et de mieux rebondir ensuite : 29 % des salariés concernés retravaillent. Les problèmes rhumatologiques sont plus durablement handicapants : seuls 14 % des salariés touchés ont retrouvé un emploi. Actifs ou non, 50 % des salariés inaptes suite à des problèmes psychologiques estiment leur qualité de vie améliorée à un an, contre seulement un quart des autres cas.

Lors d'entretiens téléphoniques, de nombreuses personnes ont exprimé leur désarroi : " C'est financièrement dur ", " Je me sens jetée de la société, exclue ", " Je n'ai pas eu de suivi, je me sens abandonnée, tout le monde s'en fout "... D'autres sont restées positives : " Je peux prendre en compte plus facilement mon traitement, d'où une amélioration de mon état de santé. " Ainsi, dans quelques cas, l'inaptitude peut être thérapeutique. Mais elle est le plus souvent vécue comme un échec par le salarié... et par le médecin du travail. Les reclassements ou aménagements de poste dans les entreprises ont des limites : volonté et marges de manoeuvre de chacun des acteurs, contexte économique.

Pour prévenir l'inaptitude, il est donc primordial d'agir le plus en amont possible sur les conditions de travail et les plans de carrière, dès les premières restrictions d'aptitude.