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Fonctionnaires sous pression

par François Desriaux / janvier 2013

Il semble que les fonctionnaires soient logés à la même enseigne que les "survivants" des plans sociaux. Sous prétexte que les premiers ont la garantie de l'emploi et que les seconds ont sauvé le leur, il serait inconvenant d'évoquer leurs conditions de travail.

Pourtant, c'est bien le moment d'en parler, car les conditions de travail des agents des trois fonctions publiques se sont dégradées ces dernières années. En cause, les évolutions successives de la notion d'"offre de services aux usagers", l'introduction de méthodes et de critères de gestion importés du secteur privé, sans oublier bien sûr tout ce qui découle du credo politique dominant, selon lequel le salut des économies modernes passe par la diminution des dépenses publiques.

S'ensuivent la réduction des effectifs par le non-remplacement d'un fonctionnaire retraité sur deux ; la rationalisation et l'intensification du travail, que l'on connaît bien dans les entreprises privées ; enfin, la fragilisation des collectifs.

Sauf que, du côté des usagers, la demande de services publics n'a jamais été aussi forte. Et la crise n'a fait qu'aggraver le décalage entre les besoins de la population et les moyens que les agents peuvent mobiliser pour y répondre. De cette impossibilité d'éprouver la satisfaction du devoir accompli, naît la souffrance des fonctionnaires. Surtout s'ils ont embrassé la fonction publique par conviction citoyenne.

"Les syndicats ont pris conscience du stress au travail"

par Frédéric Lavignette / janvier 2013

Pour Catherine Vincent, sociologue spécialisée dans l'étude des relations sociales, les syndicats de la fonction publique d'Etat se sont emparés des questions de santé au travail. Un terrain sur lequel ils sont plus écoutés que sur celui de l'emploi.

Pensez-vous que les syndicats de la fonction publique ont privilégié ces dernières années la défense du statut des fonctionnaires à celle des conditions de travail, à l'instar de ce qui s'est passé dans le privé avec l'emploi ?

Catherine Vincent : Dans la Fonction publique d'Etat, domaine sur lequel je me suis penchée particulièrement, l'action syndicale est surtout défensive. Mais ces deux types de défense ne sont pas incompatibles. Jusqu'à récemment, l'action syndicale s'est davantage portée sur le salaire, le maintien de l'emploi et le statut de la fonction publique que sur les questions de conditions de travail, ce qui ne veut pas dire que les syndicats les négligeaient. Ces dix dernières années précisément, les organisations syndicales ont eu à faire face à une réforme profonde de l'organisation de l'Etat, mais aussi à une maîtrise des déficits budgétaires qui s'est caractérisée par une réduction des effectifs et des moyens de l'administration.

La charge de travail supplémentaire imposée aux salariés restés en poste s'est développée, alors qu'en parallèle un autre mouvement s'est opéré : celui des pressions liées à l'accroissement de la performance dans l'organisation du travail. C'est ce qu'on appelle le "new public management avec ses indicateurs quantitatifs ou ses demandes de reporting, assez similaires à ceux du privé. Les syndicats ont récemment pris conscience que ces modes de management pouvaient générer des contraintes, du stress et des risques psychosociaux pour les fonctionnaires.

Leur réponse s'est orientée sur un allégement des contraintes, par une révision des indicateurs, une réorganisation des services et une redéfinition des missions. Et, chose très importante pour les agents de la fonction publique, qu'ils puissent continuer à remplir des tâches de qualité. Plus par réalisme que par défaitisme, les organisations syndicales se sont rendu compte qu'elles n'arrivaient pas à empêcher les réductions d'effectifs, inévitables depuis dix ans. Par conséquent, elles se sentent un peu plus concernées par l'impact de ces organisations du travail sur les fonctionnaires, à savoir le stress au travail. Et je dirais que, sur ce terrain-là, les syndicats sont plus écoutés que sur celui du maintien de l'emploi, qui relève purement des décisions politiques.

L'accord du 20 novembre 2009 sur la sécurité et la santé au travail dans la fonction publique peut-il renforcer l'intervention des organisations syndicales sur ces questions ?

C. V. : Je pense qu'il le peut, car c'est le premier accord jamais conclu sur la santé au travail dans la fonction publique. En transformant les CHS en CHSCT, il attribue aux organisations syndicales de nouvelles prérogatives concernant les conditions de travail, la santé et la sécurité au travail. La question maintenant est : comment vont-elles s'en emparer ?

Parallèlement aux syndicats, il y a, cela dit, une évolution qui se fait sentir et qui vient cette fois du côté de la direction générale de l'Administration et de la Fonction publique, ou des directions de chaque ministère. Pour régler ces questions de stress, de santé au travail et de risques psychosociaux, elles ne font pas appel au canal syndical mais à des expertises extérieures, ou bien elles communiquent directement avec les salariés. Or, en court-circuitant ainsi les syndicats, elles ne peuvent toutefois pas ignorer leur position, car la concertation reste tout de même un passage obligé.