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La santé au travail, enjeu négligé dans la fonction publique

par Joëlle Maraschin / 01 décembre 2022

La prévention des risques professionnels dans la fonction publique pâtit d’un cadre réglementaire peu contraignant pour les employeurs et des droits restreints accordés aux acteurs de terrain. Résumé d’une table ronde organisée à l’occasion d’un récent colloque.

Comment remédier à l’invisibilisation des enjeux de santé au travail dans la fonction publique ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre plusieurs actrices de la prévention, réunies lors d’une table ronde sur le même thème, à l’occasion d’un colloque les 24 et 25 novembre dernier à Nantes. Ce dernier était organisé par un collectif de chercheurs, afin de mettre en visibilité les difficultés de prise en charge des questions de santé au travail dans la fonction publique.
Pour Isabelle Crouzet-Godard de la CGT et Virginie Gregoraci de la CFDT, toutes deux représentantes syndicales au Conseil commun de la fonction publique, l’un des principaux obstacles est le manque de respect de la règlementation en santé au travail. « S’agissant des collectivités territoriales, que je connais le mieux, des mesures contraignantes seraient nécessaires pour les employeurs qui ne respectent pas les règles », plaide Virginie Gregoraci. La représentante de la CGT rappelle de son côté que la moitié des établissements de l’administration ne dispose pas d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER), ni de plan de prévention afférent. « Nous avions demandé des mesures coercitives pour le document unique lors du dialogue autour du premier plan santé au travail dans la fonction publique. Cela a été écarté d’emblée au motif qu’il faut faire confiance aux employeurs publics », déplore Isabelle Crouzet-Godard.

Manque de volonté politique

Ce premier plan pour la fonction publique signe, selon la représentante CFDT, un manque de volonté politique d’aborder ces questions, comparativement au secteur privé où un quatrième plan santé-travail a été arrêté. « L’Etat est réputé protecteur et bon employeur, et les questions autour des conditions de travail y sont négligées, observe Annabelle Chassagnieux, du cabinet d’expertise en santé au travail Aptéis. Les agents peuvent même intérioriser des conditions de travail dégradées en raison de leur mission de service public et de la protection de leur emploi. »
De fait, les risques professionnels et atteintes à la santé du fait du travail semblent largement invisibilisés chez les fonctionnaires. « Aussi la prise en compte de l’usure professionnelle et de la pénibilité est-elle quasi inexistante », confirme Virginie Gregoraci. Cheffe du service de médecine préventive du centre interdépartemental de gestion (CIG) Petite Couronne, Emmanuelle Bourin signale également une méconnaissance des expositions professionnelles ainsi qu’une « imperméabilité » à ces défis, tant de la part de la tutelle administrative que des élus des collectivités territoriales. « Mises à part les maladies professionnelles les plus graves donnant droit à réparation, nous ne disposons d’aucun indicateur au niveau national sur la sinistralité parmi les agents », précise la médecin du travail.

Pas d’incitation à la prévention

Contrairement au secteur privé, où les risques professionnels sont pris en charge par une branche de la Sécurité sociale, les administrations sont leurs propres assureurs, quand les collectivités territoriales font appel à des assurances privées. « En cas d’accident de service ou de maladie professionnelle, les employeurs n’ont aucune incitation à faire de la prévention », poursuit Emmanuelle Bourin. Intervenant depuis la salle, Gérald Le Corre, inspecteur du travail et élu CGT au CHSCT du ministère du Travail, a rappelé que les agents chargés de l’inspection en santé et sécurité au travail au sein des administrations ne disposent d’aucun pouvoir coercitif. « La crainte du bâton dans le secteur privé, notamment celle de pénalités financières ou encore de la faute inexcusable de l’employeur, n’existe pas dans le public », précise-t-il.
Pour mettre en lumière des conditions de travail délétères et discuter de prévention des risques, les CHSCT demeurent jusqu’à présent des acteurs-clefs. Comme en témoigne Emmanuelle Bourin, à propos du CHSCT d’une collectivité qui s’est mobilisé à la suite d’une alerte concernant des troubles musculosquelettiques chez les agents d’une école. « Nous avons réussi à convaincre le maire de réaliser une évaluation des risques et un plan de prévention », indique-t-elle.

Une fusion des instances représentatives redoutée

A ce titre, la fusion des instances représentatives dans la fonction publique, effective en janvier prochain, suscite des inquiétudes. La formation spécialisée en santé, sécurité, conditions de travail (FSSSCT), censée remplacer le CHSCT, n’est obligatoire qu’à partir de 200 agents, au lieu de 50 pour l’ancienne instance. « Près de 70 % des établissements de la fonction publique hospitalière ont moins de 200 agents », souligne Isabelle Crouzet-Godard, tout en rappelant que la sinistralité chez les soignants est supérieure à celle du BTP. Virginie Gregoraci indique que certains centres de gestion de la territoriale refuseront de mettre en place des FSSSCT. « Ils ne voient pas l’intérêt de cette instance », se désole-t-elle.
La possibilité de recourir à des experts en santé au travail est aussi plus contrainte dans les fonctions publiques territoriale et d’Etat. « Les employeurs peuvent y refuser une expertise. Et ils ne s’en privent pas, témoigne Annabelle Chassagnieux. C'est différent dans la fonction publique hospitalière, jusqu’alors alignée sur les règles du privé. » Or les conditions d’accès à l’expertise au sein des hôpitaux vont être alignées sur le reste de la fonction publique, en janvier toujours. Avec des délais plus serrés que dans le privé. De quoi limiter davantage la possibilité de mettre en visibilité des conditions de travail délétères. Une dégradation des marges de manœuvre pour les acteurs de prévention, à l’heure où de nombreux agents de la fonction publique font état de leur souffrance au travail, situation à laquelle le magazine Santé & Travail a décidé de consacrer le dossier de son prochain numéro, à paraître en janvier.

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