
"Sauve qui peut", un documentaire sur les souffrances à l’hôpital
Dans "Sauve qui peut", en salle à partir de ce mercredi 4 juin, Alexe Poukine a filmé des ateliers qui simulent la relation patient-soignant. Le documentaire donne à voir l’épuisement et le découragement du personnel soignant dans un hôpital sous contrainte.
On les voit tenter d’apaiser une femme admise aux urgences psychiatriques, poser les questions d’une consultation de routine, annoncer un cancer incurable...à des comédiens. Dans Sauve qui peut, sorti au cinéma le 4 juin, la réalisatrice Alexe Poutine a choisi de filmer des professionnels de santé lors d’ateliers de formation à la relation patient-soignant à l’hôpital.
Malgré le « jeu » de la fiction, l’émotion du personnel hospitalier est palpable, parfois jusqu’aux larmes, et par leurs maladresses dans la manière de s’adresser à ces faux patients. Puis vient un temps de debriefing pour évaluer ces échanges sur le fond et la forme, et analyser le ressenti des protagonistes. Le formateur leur suggère des idées pour être davantage à l’écoute, trouver des mots plus adéquats et des questions plus acérées, éviter tout jugement implicite, sortir de représentations stéréotypées, etc.
« La souffrance des soignants ruisselle sur les patients »
Réalisatrice de Sans frapper, un documentaire mêlé de fiction sur le viol, Alexe Poukine entend parler de la simulation humaine en santé par une médecin rencontrée lors d'une projection. Elle découvre que cette méthode de formation permet aussi d'améliorer les pratiques. « En Amérique du Nord, elle est très développée, explique la cinéaste. J’ai tourné en Suisse, à la pointe en Europe, en Belgique et en France où depuis deux ans elle est obligatoire dans le cursus pour devenir médecin. »
D’abord centré sur les échanges entre patients simulés et soignants, le documentaire met progressivement en lumière les conditions de travail à l’hôpital. « L’intime est politique, relève Alexe Poukine. Les soignants sont pris dans des injonctions paradoxales, entre l’idéal relationnel d’empathie et de bienveillance, et les conditions d’exercice du travail dans un système qui les maltraite. De manière systémique, la souffrance des soignants ruisselle sur les patients. » Les participants à ces ateliers pointent le manque de moyens matériels et humains qui impacte lourdement la qualité des soins.
Marchandisation des soins
Comment ne pas devenir maltraitant quand on ne dispose que de 5 minutes pour une toilette ou que les interventions s’enchaînent sans laisser le temps d’un acte technique (laver, réarmer un sac, etc.) pour décompresser ? « Le temps de la rentabilité et celui du soin sont fondamentalement opposés », estime Alexe Poukine.
Une infirmière française aborde la tarification à l’acte et son « obligation d’efficience, avec moins de personnel, plus de travail et la nécessité de noter tous les actes réalisés », au détriment parfois des actes eux-mêmes. Ce fonctionnement n’est pas spécifique à l’Hexagone, observe la cinéaste : « Il existe partout une marchandisation des soins et la tarification à l’acte en fait partie. »
Sentiment d’impuissance
Au fil du documentaire, les soignants évoquent un « trouble de l’investissement au travail » : « Ce n’est pas le même rapport au métier que vendre des voitures ou des assurances, ni les mêmes valeurs. » Des participants prennent conscience d’une « culture dans laquelle on ne peut pas montrer sa souffrance au collectif de travail », d’« une structure dans laquelle il est mal vu de dire qu’on ne va pas bien. » Un médecin se souvient avoir commencé son internat dans un service où un interne s’est suicidé au curare, et l’avoir fini au moment où un autre a, lui aussi, mis fin à ses jours. « Quand on a des pensées suicidaires et qu’on passe à l’acte, on se rate moins que les autres », assure ce praticien.
« Mon film montre le sentiment d’impuissance, l’impuissance à soigner et à changer le système, explique Alexe Poukine. Il faut se départir de ce sentiment et aller vers une lutte collective. Pour les soignants mais aussi les patients, il y a des lieux - des unions professionnelles, des syndicats, des associations- où se rassembler pour réfléchir ensemble et défendre l’hôpital, un bien commun. »
Sauve qui peut est disponible dans de nombreuses salles de cinéma en France à partir de mercredi 4 juin. Le film est lauréat du Prix des jeunes et de la Mention spéciale bibliothèque du festival "Cinéma du Réel" en 2024.
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