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Le Sénat botte en touche sur la santé au travail

par Joëlle Maraschin / 07 juillet 2021

Le 6 juillet, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail, sans y apporter de modification majeure. Si certains amendements semblent positifs, la plupart entérinent les aspects du texte décriés par les professionnels.

Les sénateurs se sont penchés les 5 et 6 juillet 2021 sur la proposition de loi « visant à renforcer la prévention en santé au travail », adoptée le 17 février dernier par l’Assemblée nationale. Portée par les députées LREM Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, ce texte de loi vise à transposer un accord national interprofessionnel signé en décembre sur le même sujet par les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT. Après avoir examiné les conclusions des deux co-rapporteurs, Pascale Gruny, sénatrice de l’Aisne (Les Républicains), et Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon (Rassemblement démocratique et social européen), la commission des affaires sociales du Sénat a adopté le 23 juin la proposition de loi avec quelques modifications. Bien que critiqué par de nombreux professionnels de santé au travail, le texte a été adopté en séance publique, avec les ajustements retenus en commission, en dépit d’une centaine d’amendements défendus par les sénatrices communistes, écologistes et socialistes. Les trois groupes de l’opposition de gauche ont en conséquence tous votés contre le texte, craignant une dégradation de la protection de la santé des salariés.

Recul et avancée

Premier point sur lequel est revenu le Sénat : l’obligation pour toutes les entreprises d’élaborer un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. Cette mesure, introduite par l’Assemblée nationale, avait fait bondir les fédérations patronales et ne concernera plus que les entreprises de plus de 50 salariés.  Pour les plus petites entreprises, les actions de prévention seront consignées dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Afin de garantir la conservation effective de ce document pendant quarante ans, censée assurer la traçabilité collective des expositions aux risques, le Sénat a souhaité que le DUERP soit déposé sur un portail numérique géré par les organisations patronales. Il devra être tenu à la disposition des salariés et transmis au service de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI).
Parmi les avancées votées par les sénateurs : les salariés exposés à des risques particulièrement dangereux pour leur santé, notamment à des agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), feront l’objet d’un suivi post-exposition en lien avec leur médecin traitant et le médecin-conseil de la Sécurité sociale. Cette surveillance médicale ne sera plus conditionnée au départ en retraite. S’agissant plus particulièrement de la traçabilité individuelle des expositions au risque chimique, que les sénateurs du groupe communiste souhaitaient voir consacrer dans la proposition de loi, Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail, a informé le Sénat qu’un « chantier » sur les risques chimiques serait lancé en septembre prochain avec les partenaires sociaux.

Une médecine du travail… de ville ?

Sur la question épineuse de l’accès de la médecine du travail au dossier médical partagé (DMP) d’un salarié, les sénateurs ont précisé qu’il ne pourra pas être accordé oralement. La demande d’accès devra faire l’objet d’une procédure dématérialisée, le salarié étant informé de la possibilité d’ignorer cette demande, de la refuser ou de restreindre l’accès au contenu du DMP. Les sénateurs ont cependant voulu étendre l’accès au DMP à l’ensemble des professionnels de santé au travail, en particulier aux infirmiers de santé au travail. Arguant de la nécessité de renforcer l’attractivité de la spécialité médicale en santé au travail, les parlementaires ont également prévu une expérimentation visant à étendre le droit de prescription des médecins du travail en matière d’arrêts de travail mais aussi de soins, d’examens et de produits de santé en addictologie, allergologie, médecine du port, nutrition et douleur. Une mesure adoptée en séance publique en dépit de l’avis défavorable du gouvernement.
Sans remettre en cause le recours à des « médecins praticiens correspondants » (MPC) – des médecins de ville qui seront chargés du suivi médical de certains travailleurs –, les sénateurs ont limité cette possibilité aux zones identifiées comme sous-dotées en médecins du travail. Autre disposition amendée par les sénateurs, l’article 18 qui prévoit un « entretien de liaison » entre l’employeur et le salarié au cours d’un arrêt maladie. Le texte adopté par le Sénat précise que cet entretien peut être réalisé à l’initiative de l’employeur ou du salarié, et ce sans que ne soit associé le SPSTI. Une réécriture inquiétante, même s’il est précisé qu’aucune conséquence ne peut être tirée du refus par le salarié de se rendre à ce rendez‑vous.

Maintien d’une logique de service

La disposition de la PPL relative à la définition par les SPSTI d’une offre socle de services et d’une offre complémentaire est maintenue par le Sénat, malgré les craintes des professionnels de santé au travail quant à la mise en place d’une prévention « à deux vitesses ». Afin d’éviter que les SPSTI privilégient une offre de services complémentaires facturée, les sénateurs précisent que l’offre socle devra couvrir l’intégralité des missions prévues en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel des travailleurs et de prévention de la désinsertion professionnelle. Enfin, les sénateurs ont souhaité doter l’autorité administrative d’un nouvel outil de contrôle, à savoir un régime d'administration provisoire, en cas de difficultés graves de fonctionnement ou d’organisation d’un service de santé au travail. La PPL faisant l’objet d’une procédure accélérée, une commission mixte paritaire (CMP) se réunira dans les prochains jours afin d’établir un texte commun. Le gouvernement souhaiterait que le texte soit adopté avant la fin juillet.