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Maladies professionnelles : à quand une vraie reconnaissance ?

par Stéphane Vincent / octobre 2020

Les salariés contaminés par le Covid-19 dans le cadre de leur activité pourront-ils le faire reconnaître en maladie professionnelle ? Rien n’est moins sûr. Les critères définis par le gouvernement pour acter cette reconnaissance sont si restrictifs qu’ils vont exclure de nombreuses victimes. Il s’agit là d’une énième illustration des difficultés rencontrées par les travailleurs pour obtenir réparation. Le compromis historique entériné par la loi – accorder au salarié le bénéfice d’une présomption d’origine professionnelle de sa pathologie en échange d’une relative immunité juridique pour l’employeur – apparaît de plus en plus bancal. L’indemnisation forfaitaire qui en découle pour les victimes s’avère souvent trop faible au regard des préjudices réels et les pousse à attaquer les employeurs en justice, incitant ces derniers à faire barrage à toute déclaration ou reconnaissance. L’absence d’évolution des tableaux de maladies professionnelles, qui conditionnent l’accès à la présomption d’origine, renvoie également les victimes vers un système complémentaire où elle ne s’applique plus. Sans oublier le parcours d’obstacles que constitue la procédure de reconnaissance. Le système doit donc évoluer, et les options sont nombreuses. Une chose est certaine, en tout cas : l’intervention des acteurs de prévention en entreprise demeure déterminante. En mettant en visibilité les risques, ils peuvent à la fois éviter des maladies… et faciliter leur reconnaissance.

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A la MSA, les préventeurs misent sur la coopération

par Corinne Renou-Nativel / octobre 2020

Pour faire reculer les maladies professionnelles, troubles musculo-squelettiques en tête, la Mutualité sociale agricole s’appuie sur une démarche de terrain, transversale, qui associe médecins, infirmiers, conseillers en prévention et le contrôle médical.

Parmi les maladies professionnelles du secteur agricole, les troubles musculo-squelettiques (TMS) occupent la première place : ils représentent 96 % des atteintes reconnues chez les salariés et 87 % chez les non-salariés. « Chez les exploitants, c’est avant tout dans l’activité de la traite, dans la filière de l’élevage laitier, que la fréquence d’apparition des TMS est la plus importante ; chez les salariés, ce sont les abattoirs, et notamment la découpe de la viande et la boucherie qui sont les plus concernés », constate Magalie Cayon, responsable du service prévention de la Mutualité sociale agricole (MSA) au niveau national. « De manière générale, les localisations les plus fréquentes sont les épaules, le canal carpien et les lombalgies », précise Dominique Semeraro, médecin du travail au niveau national, en charge de la prévention des TMS.

Différents corps de métiers réunis en équipes

Pour mieux prévenir ces pathologies, comme les risques professionnels dans leur ensemble, la MSA a structuré en 1997 ses efforts autour d’équipes de santé sécurité au travail (SST). Celles-ci regroupent, au sein du réseau de 35 MSA locales, 350 médecins du travail, 260 conseillers en prévention et 140 infirmiers de santé au travail. « C’est en croisant les diagnostics des différents corps de métiers et en s’entendant sur les objectifs à travailler ensemble que nous parvenons à construire des stratégies de SST partagées, explique Magalie Cayon. Nous pouvons accéder aux données d’un secteur, d’une entreprise, avec ses accidents du travail et ses maladies professionnelles (AT-MP), les inaptitudes totales ou partielles, les nuisances identifiées, les signaux faibles repérés par les équipes, qui nous permettent d’avoir une approche large des problèmes de santé de la population ciblée. »
Si les chiffres sur la sinistralité des AT-MP, fournies par les services du contrôle médical, peuvent servir à cibler les efforts de prévention, le contact avec le terrain permet de corriger la vision des risques issue de ces chiffres. C’est ce que relate Catherine Surroca, médecin-conseil du service de contrôle médical de la MSA Grand Sud, qui couvre l’Aude et les Pyrénées-Orientales : « Les données sont faussées à cause de la difficulté à faire reconnaître en maladie professionnelle les pathologies du dos, pourtant les plus fréquentes. » Daniel Lavallée, responsable du service de prévention des risques professionnels de la MSA Grand Sud, confirme : « Chez nous, en viticulture, les maladies professionnelles sont à 90 % des TMS des membres supérieurs, liés au travail de la taille et de la coupe par sécateur, en raison de la répétition des gestes d’octobre à mars. Une enquête auprès de 90 viticulteurs a néanmoins montré qu’ils évoquent en premier lieu des douleurs dans le dos, mais ils ne font pas de déclarations en maladies professionnelles. Elles n’apparaissent pas dans les statistiques parce que les viticulteurs les considèrent inhérentes à leur activité. Si on ne prend que les chiffres, on ne propose donc pas de solution au problème le plus fréquent. »

« Faire émerger des idées nouvelles qui conviennent au décideur »

Un groupe de travail pluridisciplinaire de la MSA a créé l’outil de prévention « Trouvons mes solutions adaptées » (TMSa), mis à disposition de tout le réseau. En 2016, la MSA Grand Sud s’est emparée de ce programme, lancé d’abord auprès de viticulteurs d’Embres- et-Castelmaure, un village de l’Aude, avant que l’action soit élargie à partir d’octobre 2019 à d’autres territoires. « Les préventeurs – conseillers en prévention, médecins du travail et infirmiers – ne se positionnent plus en tant qu’experts mais en tant qu’accompagnateurs du décideur, pour permettre de faire émerger des idées nouvelles qui lui conviennent. Cela maximise les chances de leur mise en œuvre par le dirigeant d’une entreprise ou l’exploitant qui n’a pas de salariés », explique Daniel Lavallée. A cette démarche ont été associés aussi des médecins du contrôle médical, qui ont mis en avant les enjeux d’une diminution des coûts en santé publique.
En partant à chaque fois des problématiques des salariés et exploitants, cette action a débouché sur un nouveau programme : OstéArt. Deux ans après leur prise en charge, Catherine Surroca a rencontré les viticulteurs d’Embres-et-Castelmaure. « Je devais évaluer l’action menée par la MSA Grand Sud afin de voir s’il serait intéressant de la déployer sur une plus grande échelle, indique-t-elle. Ce groupe de viticulteurs gardait un bénéfice de l’accompagnement par le programme OstéArt. Une autre étude menée auprès d’un groupe différent, avant toute intervention, a montré que les zones douloureuses les plus citées étaient le dos, l’épaule et le rachis cervical. Elle a également montré des signes de dépression et la croyance forte que le travail est source de souffrance physique et morale. »
D’autre part, créé en 2014, le logiciel AtoutPrev favorise le travail coopératif au sein de la MSA. « Il permet d’accéder aux données quantitatives et qualitatives du travail réalisé par les équipes SST, tant au niveau des consultations médicales et des entretiens infirmiers que des actions menées en milieu de travail, note Dominique Semeraro. Médecins, infirmiers et conseillers en prévention tracent leur activité. Collaboratif, AtoutPrev est un outil de pilotage pour les responsables et de valorisation des actions. » Ce logiciel est aussi un dispositif de suivi des plans nationaux sur la santé au travail. « Dans notre plan 2016-2020, très orienté sur la sinistralité en ce qui concernait les maladies professionnelles, l’accent était largement mis sur la prévention des TMS, mais également sur l’évaluation des risques chimiques, afin d’identifier les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques en milieu agricole », souligne Magalie Cayon.

« Le but est d’agir plus en amont par la prévention »

Le parti pris change pour le plan 2021-2025, beaucoup plus axé sur une prévention construite à partir du terrain, de la situation réelle. « Dans ce diagnostic, une partie est liée aux maladies professionnelles, mais elles ne sont pas une fin en soi, souligne Dominique Semeraro. Plutôt que de se baser exclusivement sur les dénombrements des AT-MP, le but est d’agir plus en amont par la prévention primaire pour les éviter. » Se situer au plus près des déterminants économiques des filières est désormais la priorité. « Si une entreprise n’arrive pas à fidéliser ses salariés et qu’ils partent rapidement, à quoi sert notre action ? interroge Magalie Cayon. Si une entreprise ou une filière est en grande difficulté, comment les indicateurs de TMS et de risques psychosociaux pourraient-ils être bons ? C’est pourquoi, plutôt que de tenir un discours orienté uniquement sur la prévention des maladies professionnelles, nous préférons coconstruire ensemble un programme d’action dans une logique de relation de service. »
Pour des interventions de qualité, la responsable de prévention met l’accent sur l’importance d’un travail transversal : « Nous cultivons la coopération entre nos différents corps de métiers que sont pour les SST, les médecins, les infirmiers et les conseillers en prévention, mais aussi plus largement avec le contrôle médical, l’action sanitaire et sociale, les personnes en charge de la relation aux entreprises. »
En outre, la MSA anime un réseau de 16 982 élus. Chacune des 35 MSA locales et la caisse centrale sont dotées d’un conseil d’administration composé de trois collèges : exploitants, employeurs et salariés. « Ce réseau de professionnels de terrain nous aide à développer nos actions sanitaires et sociales, médicales et de santé sécurité au travail », conclut Magalie Cayon. « Les chiffres et bilans de nos interventions sont présentés aux élus qui vont impulser les initiatives, précise Daniel Lavallée. Nous sommes des partenaires des élus qui nous demandent d’investir tel canton, d’organiser des réunions pour des exploitants et salariés qu’ils font venir. Les élus de la MSA sur le terrain représentent des moteurs essentiels de la mise en œuvre de démarches de prévention. »