© Simon Bailly

Maladies professionnelles : à quand une vraie reconnaissance ?

par Stéphane Vincent / octobre 2020

Les salariés contaminés par le Covid-19 dans le cadre de leur activité pourront-ils le faire reconnaître en maladie professionnelle ? Rien n’est moins sûr. Les critères définis par le gouvernement pour acter cette reconnaissance sont si restrictifs qu’ils vont exclure de nombreuses victimes. Il s’agit là d’une énième illustration des difficultés rencontrées par les travailleurs pour obtenir réparation. Le compromis historique entériné par la loi – accorder au salarié le bénéfice d’une présomption d’origine professionnelle de sa pathologie en échange d’une relative immunité juridique pour l’employeur – apparaît de plus en plus bancal. L’indemnisation forfaitaire qui en découle pour les victimes s’avère souvent trop faible au regard des préjudices réels et les pousse à attaquer les employeurs en justice, incitant ces derniers à faire barrage à toute déclaration ou reconnaissance. L’absence d’évolution des tableaux de maladies professionnelles, qui conditionnent l’accès à la présomption d’origine, renvoie également les victimes vers un système complémentaire où elle ne s’applique plus. Sans oublier le parcours d’obstacles que constitue la procédure de reconnaissance. Le système doit donc évoluer, et les options sont nombreuses. Une chose est certaine, en tout cas : l’intervention des acteurs de prévention en entreprise demeure déterminante. En mettant en visibilité les risques, ils peuvent à la fois éviter des maladies… et faciliter leur reconnaissance.

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Des données officielles parcellaires

par Jean-Claude Zerbib, expert et militant syndical / octobre 2020

Les statistiques de la Sécurité sociale sur les maladies professionnelles, incomplètes, nécessitent l’ajout d’autres sources pour faire un bilan plus précis. Troubles musculosquelettiques et pathologies liés à l’amiante demeurent en tête des reconnaissances.

Les publications annuelles de la Sécurité sociale permettent de voir à grands traits l’évolution du nombre de maladies professionnelles (MP). Mais elles n’en donnent pas une image complète. Ces statistiques ne portent en effet que sur les MP reconnues au titre des tableaux, occultant celles reconnues dans le cadre du système dit complémentaire. En outre, les bilans fournis par la Sécurité sociale s’appuient sur une donnée non intuitive, appelée « nombre de MP en 1er règlement ». En clair, ne sont comptabilisées que les pathologies ayant occasionné des dépenses l’année de leur reconnaissance, à savoir principalement les indemnités journalières (IJ) versées aux victimes pour compenser les pertes de salaire ou frais de santé liés à leur MP. Ainsi, celles reconnues pour les retraités, qui ne touchent pas d’IJ car ils n’ont pas de perte de salaire, disparaissent des bilans. Disparaissent aussi diverses atteintes, même graves, dès lors qu’elles n’entraînent pas, à court terme, un arrêt de travail des salariés.

Approche comptable

Les statistiques privilégient une approche comptable, aux dépens d’un panorama détaillé. Il est nécessaire de les compléter par d’autres données, provenant du ministère du Travail et d’Eurogip – organisme qui dépend de la Sécurité sociale –, afin d’avoir le nombre de déclarations de MP et le chiffre réel de l’ensemble des pathologies reconnues. Le tableau ci-contre regroupe tous ces éléments sur les années 2009 à 2018. Il révèle ainsi que le système français ne reconnaît en moyenne que 61,2 % des MP déclarées.

Parmi les maladies reconnues, les troubles musculo- squelettiques (TMS) dominent (86,4 %), devant les pathologies et cancers de l’amiante. Sur les 1 817 cancers professionnels reconnus en moyenne par année, 4 sur 5 sont dus à l’amiante. En termes d’évolution, les reconnaissances de cancers liés à l’amiante ont peu fluctué depuis 2009. En revanche, celles d’autres pathologies ont diminué. C’est le cas pour les maladies de l’amiante, hors cancers (de 5 279 à 2 889 cas). Mais également pour les TMS. L’année 2011 marque un tournant concernant ces atteintes, du fait de conditions d’accès plus difficiles au tableau 57A sur les TMS de l’épaule. Avant 2011, le nombre de TMS reconnus progressait en moyenne de 2 766 cas par an. Il s’est mis à décroître de 558 cas par an après. Enfin, les maladies psychiques, qui ne figurent dans aucun tableau, sont de plus en plus reconnues par le système complémentaire. Les « avis favorables » des conseils régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles les concernant ont été multipliés par un facteur 13,8 depuis 2009, avec 990 cas reconnus en 2018.