© Fanny Monier

Pour un renouveau de la santé au travail

par Stéphane Vincent / octobre 2021

Trente ans après la création de Santé & Travail, quel bilan peut-on faire de la prévention des risques professionnels ? Pour quelles perspectives ? Voilà en résumé le point de départ de ce dossier spécial. Avec un premier constat : si ces dernières décennies ont vu les connaissances s’accumuler sur les facteurs de risque liés au travail, tant psychiques que physiques, la prévention patine. Les troubles musculosquelettiques et les risques psychosociaux font désormais partie du paysage, sans qu’il semble possible d’en venir à bout. Le risque chimique est mieux pris en charge mais de nombreuses zones d’ombre demeurent. Il faut dire que l’accélération des changements dans les entreprises et institutions handicape sérieusement la prévention, qui s’inscrit sur le temps long. Il existe néanmoins des pistes pour faire mieux et autrement. Elles impliquent une réflexion plus globale sur le fonctionnement des organisations, les critères de performance, les interactions entre l’activité de travail, l’environnement, le vieillissement de la population active… Une démarche qui peut sembler théorique, complexe, mais qui pour réussir doit s’ancrer sur le terrain, sur les aspects concrets du travail réel. Comme en attestent les exemples dans les pages qui suivent : des actions en apparence limitées peuvent avoir des effets positifs plus durables que de grands chantiers. Une approche renouvelée de la prévention, modeste et ambitieuse à la fois.

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Une ambassadrice pour l’ergonomie

par Corinne Renou-Nativel / octobre 2021

Les mauvaises conditions de travail ne sont certainement pas une fatalité aux yeux de Virginie Rascle. Ergonome dans un service de santé au travail, elle défend avec cœur le rôle des intervenants en prévention des risques professionnels.

Au cours de ses études en hygiène, sécurité et environnement, Virginie Rascle a fait une découverte marquante, celle de l’ergonomie. « Cette approche vraiment riche, avec différentes disciplines s’intéressant à l’homme au travail, m’a incitée à poursuivre dans cette voie », se souvient-elle. Son master 2 d’ergonomie lui ouvre les portes d’un service de santé au travail à Bordeaux, où elle exerce en alternance pendant trois ans. Aujourd’hui, c’est dans un autre service, à Toulouse, qu’elle poursuit son chemin professionnel. Après quinze ans d’expérience, elle demeure passionnée par sa mission aux côtés des médecins du travail. « Les entreprises interrogent les ergonomes sur des questions précises, explique-t-elle. A nous d’élargir le prisme afin de répondre à leurs besoins réels. » Comme pour cet artisan qui cherchait des conseils sur le choix de chaussures de sécurité pour ses employés, dans le but de réduire les chutes dans son magasin : « Nous lui avons fait des recommandations, mais nous avons aussi analysé l’activité des vendeurs. Ensemble, nous avons construit un plan d’action pour résoudre ce problème. Les meilleures chaussures du monde n’auraient rien changé ! »

Faire évoluer les représentations

Un exemple qui illustre le coeur de son métier, la transformation des situations de travail : « On ne parle pas seulement d’une transformation d’ordre technique sur une ligne de production ou l’aménagement d’un poste. Il faut aussi faire évoluer les représentations que peut avoir un manager pour qu’il intègre les conditions de travail dans tous les projets et que se développe une culture de prévention dans l’entreprise. »
Avec l’envie de promouvoir sa profession, Virginie Rascle a rejoint l’Association française des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) de services de santé au travail (Afisst), dont elle a pris la présidence en 2015. « Son rôle est de faire connaître les activités des préventeurs, qu’ils soient ingénieurs, ergonomes ou psychologues. En service de santé au travail, nous pouvons construire des stratégies d’interventions pluridisciplinaires, combinant les indicateurs médicaux du suivi individuel avec les éléments de l’entreprise. Le travail d’analyse de la demande est fondamental, avec les différents acteurs – médecins du travail, employeurs, salariés… »

La prévention avant tout

Si la jeune femme salue la mise en avant de la prévention dans la loi du 2 août 2021 réformant la santé au travail, elle met en garde sur les limites d’un texte « trop axé sur l’approche individuelle, quand les effets du travail sur la santé se font déjà ressentir ». Et de préciser : « Nous privilégions la prévention primaire, c’est-à-dire agir avant que les situations de travail n’entraînent des pathologies. » Pour y parvenir, elle estime que les IPRP doivent se montrer plus incitatifs et pédagogues : « Par exemple, des dispositifs interentreprises permettent de faire travailler plusieurs employeurs sur une même thématique. Cela favorise les échanges entre eux et l’appropriation de stratégies, avec notre appui. »