© Fanny Monier

Pour un renouveau de la santé au travail

par Stéphane Vincent / octobre 2021

Trente ans après la création de Santé & Travail, quel bilan peut-on faire de la prévention des risques professionnels ? Pour quelles perspectives ? Voilà en résumé le point de départ de ce dossier spécial. Avec un premier constat : si ces dernières décennies ont vu les connaissances s’accumuler sur les facteurs de risque liés au travail, tant psychiques que physiques, la prévention patine. Les troubles musculosquelettiques et les risques psychosociaux font désormais partie du paysage, sans qu’il semble possible d’en venir à bout. Le risque chimique est mieux pris en charge mais de nombreuses zones d’ombre demeurent. Il faut dire que l’accélération des changements dans les entreprises et institutions handicape sérieusement la prévention, qui s’inscrit sur le temps long. Il existe néanmoins des pistes pour faire mieux et autrement. Elles impliquent une réflexion plus globale sur le fonctionnement des organisations, les critères de performance, les interactions entre l’activité de travail, l’environnement, le vieillissement de la population active… Une démarche qui peut sembler théorique, complexe, mais qui pour réussir doit s’ancrer sur le terrain, sur les aspects concrets du travail réel. Comme en attestent les exemples dans les pages qui suivent : des actions en apparence limitées peuvent avoir des effets positifs plus durables que de grands chantiers. Une approche renouvelée de la prévention, modeste et ambitieuse à la fois.

© Fanny Monier
© Fanny Monier

Le pisteur des controverses de métiers

par Elsa Fayner / octobre 2021

Maître de conférences en ergonomie à l’université Clermont-Auvergne, Antoine Bonnemain fait partie de la jeune génération de chercheurs sur les risques psychosociaux. Le coauteur du livre Le prix du travail bien fait défend une approche novatrice.

Antoine Bonnemain ne se souvient pas avoir eu de « prédisposition pour les questions du travail » avant ses études supérieures. Après une prépa intégrée en informatique, il s’oriente vers une licence de psychologie. C’est en master d’ergonomie à l’université de Saint-Denis, puis de Nanterre, que son intérêt s’aiguise. Alors qu’il participe au montage d’événements destinés au grand public, il fait « des rencontres décisives ». Dont celle d’Yves Clot, alors titulaire de la chaire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), qui dirigera sa thèse.
Celle-ci le plonge dans le monde des éboueurs de la Ville de Paris. Antoine Bonnemain y est frappé par « la défiance des opérateurs », qui s’exprime en boucle : « On a tout essayé » ; « Ce n’est plus la peine », etc. Sur le terrain, le thésard touche du doigt les enjeux du travail pour la santé : « Les risques psychosociaux sont le symptôme d’un travail dans lequel ces professionnels ne peuvent plus se reconnaître. Quelles que soient les solutions qu’ils trouvent, ils ont l’impression de gaspiller leurs efforts et viennent alors au travail sans se sentir actifs. C’est là qu’il y a un risque pour la santé. »
Agir suppose en premier lieu de s’intéresser au travail réel pour régénérer la délibération entre pairs, afin que les équipes puissent « s’exercer à nouveau ensemble au plaisir de changer la réalité », constate celui qui est aujourd’hui maître de conférences en ergonomie à l’université Clermont-Auvergne. Concrètement, « il s’agit d’expérimenter la discussion sur ce qu’est le travail bien fait entre collègues, puis entre eux et la hiérarchie. Cela n’a rien de spontané et suppose de tester des méthodes qui alimenteront la recherche ».  

La vidéo en soutien de l’observation

La clinique de l’activité en offre plusieurs, qu’Antoine Bonnemain utilise. Comme « l’autoconfrontation croisée » entre opérateurs, où chacun est filmé pendant qu’il travaille ; les images servent ensuite à la discussion, « à la recherche des controverses de métier qui vont au-delà de la plainte », résume le chercheur. Ou comme « le référent métier », salarié mandaté par ses pairs pour représenter le travail réel auprès du management ; cela permet de « développer l’efficacité du collectif de travail dans les processus de décision », précise-t-il.
Entre ergonomie et clinique de l’activité, l’expert a forgé son approche dans différentes collectivités, de la ville de Lille à celle de Clermont-Ferrand. Il s’emploie à rendre compatibles des modèles d’intervention parfois hétérogènes pour mettre au point des méthodes de transformation éprouvées. « La manière de construire des dialogues efficaces pour changer le travail est une question centrale », insiste-t-il. Il faudrait aussi, à ses yeux, aller plus loin en élaborant un nouveau cadre légal qui permettrait aux opérateurs de peser davantage sur les décisions qui concernent leur activité. « C’est crucial pour leur santé et, au-delà, pour la santé publique et le vivant en général. »

A LIRE
  • Le prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans les organisations, par Yves Clot avec Jean-Yves Bonnefond, Antoine Bonnemain et Mylène Zittoun, La Découverte, 2021.