© Fanny Monier

Pour un renouveau de la santé au travail

par Stéphane Vincent / octobre 2021

Trente ans après la création de Santé & Travail, quel bilan peut-on faire de la prévention des risques professionnels ? Pour quelles perspectives ? Voilà en résumé le point de départ de ce dossier spécial. Avec un premier constat : si ces dernières décennies ont vu les connaissances s’accumuler sur les facteurs de risque liés au travail, tant psychiques que physiques, la prévention patine. Les troubles musculosquelettiques et les risques psychosociaux font désormais partie du paysage, sans qu’il semble possible d’en venir à bout. Le risque chimique est mieux pris en charge mais de nombreuses zones d’ombre demeurent. Il faut dire que l’accélération des changements dans les entreprises et institutions handicape sérieusement la prévention, qui s’inscrit sur le temps long. Il existe néanmoins des pistes pour faire mieux et autrement. Elles impliquent une réflexion plus globale sur le fonctionnement des organisations, les critères de performance, les interactions entre l’activité de travail, l’environnement, le vieillissement de la population active… Une démarche qui peut sembler théorique, complexe, mais qui pour réussir doit s’ancrer sur le terrain, sur les aspects concrets du travail réel. Comme en attestent les exemples dans les pages qui suivent : des actions en apparence limitées peuvent avoir des effets positifs plus durables que de grands chantiers. Une approche renouvelée de la prévention, modeste et ambitieuse à la fois.

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Une opération vertueuse de collecte de déchets amiantés

par Clotilde De Gastines / octobre 2021

En organisant la récupération des déchets amiantés chez les particuliers, la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay a mis un terme aux expositions incontrôlées de ses agents dans les déchetteries. Et réduit les risques pour la population.

Préserver la santé de ses agents, en créant un service clé en main pour collecter les déchets amiantés au domicile des habitants, c’est le choix qu’a fait en 2017, la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, Artois Lys Romane, dans le Pas-de-Calais. « Entre 2004 et 2017, nous collections en moyenne 500 tonnes de déchets amiantés par an dans nos 6 déchetteries, mais plusieurs raisons nous ont poussés à repenser ce fonctionnement », relate Pierre-Emmanuel Gibson, conseiller délégué en charge de la collecte et de la valorisation des déchets de cette collectivité, qui englobe 100 communes et compte 280 000 habitants.
Tout d’abord, en 2015, la réglementation a changé. La valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) aux poussières d’amiante est passée de 100 fibres/litre d’air à 10 fibres/litre. Or, une évaluation du risque chimique dans une des déchetteries a révélé un empoussièrement à hauteur de 25 fibres/litre. « Les agents étaient exposés parce qu’ils ne portaient pas tout le temps les équipements de protection, et les usagers aussi étaient susceptibles de respirer des fibres cancérigènes en raison du mauvais conditionnement des matériaux amiantés », précise Jean-Luc Dissaux, responsable du service collecte des déchets ménagers et assimilés.

Contraintes et craintes

« On était masqués, on portait les équipements de protection, et on arrosait les tôles avant de les ranger dans les big bags [grands sacs servant à recueillir les déchets amiantés, NDLR], mais c’était contraignant », se souvient pour sa part Gabriel Briquet, élu CGT et secrétaire du CHSCT, qui travaillait alors dans l’une des déchetteries. Les conditions de transport dans les voitures inquiétaient aussi les agents. « Quand on voyait les tôles amiantées cassées entassées à côté du siège auto pour enfant… », se remémore le représentant du personnel. Sans compter que certains jours, des conflits éclataient avec des artisans, quand l’agent de garde refusait de prendre en charge des déchets de chantier amiantés.
La collectivité s’interroge alors. Faut-il tout bonnement arrêter la collecte, pour qu’aucun agent ne soit plus exposé ? « Le risque était trop important de voir les dépôts sauvages se multiplier dans des impasses, des fossés ou des bois isolés », explique Pierre-Emmanuel Gibson. D’autant que, dans ces cas-là, les mairies se tournent vers la communauté d’agglomération pour qu’elle envoie ses agents et un camion de collecte le plus vite possible, afin d’éviter la formation de minidécharges.
L’idée émerge alors de créer un service dédié et sécurisé : une collecte à domicile payante sur rendez- vous, à hauteur de 30 euros par big bag. Un prix inférieur à celui que réclamerait une entreprise spécialisée pour l’enlèvement d’amiante. La communauté d’agglomération ne percevant pas de taxe sur les ordures ménagères, cette contribution forfaitaire permet de financer un peu plus d’un poste en équivalent temps plein pour ce nouveau service. « Comme la collecte des déchets fonctionne en régie, nous avons pu changer de paradigme assez facilement, détaille Pierre-Emmanuel Gibson. Nous avons fait appel au volontariat au sein de nos équipes et réaffecté nos moyens matériels, sans avoir à recruter ou à passer d’appel d’offres. »
Depuis mai 2017, donc, les habitants téléphonent pour préciser leurs besoins. « Dans la majeure partie des cas, il s’agit de récupérer des éléments de toiture amiantés, tuiles ou tôles, qui sont déjà déposés au fond du jardin », décrit Cédric Petitjean, responsable du pôle hygiène et sécurité. Un coordinateur se rend sur place pour faire un état des lieux. L’agent informe alors les particuliers sur le risque cancérogène, les équipements de protection à utiliser et les manipulations indispensables pour prévenir la diffusion de fibres. Ensuite, il dresse un devis quantifiant le nombre de big bags nécessaires pour recueillir les déchets. Enfin, il définit un emplacement optimal pour l’évacuation de ces sacs, qui peuvent peser jusqu’à une tonne. Le camion de ramassage vient en effet avec une grue qui ne peut pas opérer en présence de lignes électriques. La tournée de collecte est ensuite optimisée par un logiciel, selon une sectorisation définie sur les 645 km2 du territoire, en partie à la demande du CHSCT qui souhaitait limiter les temps de trajets et kilomètres parcourus.

Des agents mieux protégés

Sur place, « les consignes sont claires », rappelle Gabriel Briquet : « Si le big bag n’est pas hermétiquement fermé, ou s’il est couvert de poussières, le chauffeur ne prend pas le sac ; s’il a le moindre doute, il appelle un numéro d’urgence. » Si tout va bien, le chauffeur charge les sacs à l’aide de la grue dans son poids lourd, avant de les confier à un repreneur agréé. Le coordinateur et les cinq chauffeurs qui se relaient sur les tournées ont passé une première visite médicale avant de suivre une formation de deux jours, sur les risques liés à la manipulation de l’amiante. Ils bénéficient aussi d’un suivi médical renforcé, sur la base d’une visite tous les deux ans. « Il s’agit plutôt d’une mesure de prévention, vu que l’exposition est nulle, mais nous tenons à ce que nos agents, qui ont entre 21 et 62 ans, puissent travailler en bonne santé jusqu’à leur retraite », assure Cédric Petitjean. Celui-ci tient à souligner qu’en quatre ans, le service n’a pas déploré d’accident de manipulation ou de défaillance de matériel.
Un conseiller en prévention et un référent amiante sont également affectés au service. « Comme les règles évoluent en permanence, on s’inscrit dans une logique d’amélioration continue en partenariat avec la médecine du travail, l’inspection du travail et les différents services de l’Etat, qui sont très attentifs à notre expérience, pilote en France », ajoute Cédric Petitjean. Le service est désormais bien identifié et collecte plus d’un millier de grands sacs chaque année, soit 700 tonnes de déchets en 2020. « On a réussi à capter plus de particuliers et à mieux encadrer la gestion des déchets liés aux interventions des entreprises à domicile », se félicite Jean-Luc Dissaux.