© Jérémie Clayes

L'arrêt de travail, un mal nécessaire

par Stéphane Vincent et François Desriaux / avril 2019

"Les antibiotiques, c'est pas automatique... L'augmentation des arrêts de travail, si !" Ce pourrait être la nouvelle campagne de l'Assurance maladie, après le rapport remis au Premier ministre sur les arrêts maladie. Le recul de l'âge de la retraite et le vieillissement de la population active entraînent nécessairement une augmentation de ces derniers et de leur coût. Avec l'avancée en âge apparaissent des maladies chroniques, génératrices d'arrêts longs. Ainsi, près de la moitié du coût des absences au travail provient de pathologies lourdes.

Au-delà des questions de coût et de financement, préoccupations essentielles des pouvoirs publics, il en est une autre, à notre sens incontournable, qui devrait elle aussi les mobiliser, ainsi que les entreprises et acteurs de prévention : celle des conditions de travail. En effet, l'arrêt maladie est souvent, dans sa genèse et dans sa durée, le produit de la rencontre entre un problème de santé et des exigences du travail. Agir sur les contraintes ostéo-articulaires, l'intensification du travail, le management délétère, c'est le plus sûr moyen de faire baisser les arrêts. Aménager l'organisation du travail pour éviter que les absences de courte durée ne perturbent la production ou faciliter le retour de personnes convalescentes est un incontournable de la gestion prévisionnelle de l'absentéisme.

"Le but recherché est l'équité"

entretien avec Stéphane Seiller, conseiller maître à la Cour des comptes
par Rozenn Le Saint / avril 2019

Stéphane Seiller est l'un des trois auteurs d'un rapport sur la maîtrise de l'indemnisation des arrêts maladie, présenté au Premier ministre le 20 février. Son credo : simplifier le système, mais aussi réduire les inégalités de prise en charge.

Le rapport que vous venez de rendre sur les arrêts maladie préconise un jour de carence pour tous, au grand dam des syndicats. Comment justifiez-vous cette mesure ?

Stéphane Seiller : Cette mesure est neutre pour les finances de la Sécurité sociale. Mais le but recherché est l'équité : les fonctionnaires ne sont plus indemnisés le premier jour de leur arrêt maladie et, dans le privé, cela dépend des branches. Notre proposition ne se réduit pas à la non-indemnisation du jour de carence. Celle-ci n'est envisageable qu'avec des contreparties, notamment sur le complément de revenu versé par l'employeur, également très inéquitablement distribué.

Quelles mesures proposez-vous sur ce complément employeur et son versement ?

S. S. : Il faut un an d'ancienneté pour bénéficier de ce complément employeur en plus des indemnités de la Sécurité sociale, alors que le régime d'embauche presque de droit commun aujourd'hui est le contrat à durée déterminée... Nous préconisons d'abord d'étendre le périmètre des personnes couvertes par le complément employeur en alignant les conditions d'ouverture de ce droit sur celles de la Sécurité sociale (150 heures par trimestre). Par ailleurs, plus de la moitié des salariés en arrêt maladie de longue durée peuvent attendre plusieurs mois les indemnités de la Sécurité sociale, sans avance de la part de leur employeur. Afin de simplifier le système, nous proposons une petite révolution : pour les trente premiers jours, "forfaitiser" l'indemnité journalière versée par la Sécurité sociale. C'est neutre pour le salarié, qui aura, au total, au moins 90 % de son salaire maintenu pendant son arrêt. Mais pour l'entreprise, le calcul du complément employeur devient beaucoup plus simple : elle n'aura plus de raison de s'opposer au maintien du salaire en faisant l'avance des indemnités de la Sécurité sociale. Pour les arrêts de plus de trente jours, nous suggérons d'aligner les calculs d'indemnités journalières des trois risques - accidents du travail-maladies professionnelles, arrêts maladie et maternité -, toujours pour simplifier.

Comment mieux prévenir les arrêts courts ?

S. S. : Nous demandons aux entreprises de réaliser un effort de vigilance sur l'absentéisme. Si l'Assurance maladie leur adresse des profils simples de l'absentéisme dans leur secteur, cela leur permettra de mieux se situer et d'échanger avec les représentants du comité social et économique sur les moyens de le prévenir. D'autant que, dans un premier temps, les entreprises qui enclencheront des plans d'action bénéficieront de bonifications. En revanche, cela pourrait avoir un effet pervers : limiter l'embauche de personnes davantage susceptibles d'être absentes pour maladie, par exemple les travailleurs âgés. Pour contrecarrer cet effet d'éviction, nous proposons une incitation à l'embauche de ces catégories de salariés.

Qu'envisagez-vous pour les arrêts longs ?

S. S. : Nous souhaitons faire davantage travailler ensemble les prescripteurs, les médecins-conseils de l'Assurance maladie et ceux du travail pour mieux préparer le retour à l'emploi, notamment en organisant des visites de préreprise le plus tôt possible. Nous mettons également en avant la possibilité du télétravail, comme alternative à l'arrêt. Une personne souffrant d'une entorse a clairement un problème de mobilité, mais peut sûrement réaliser une partie de son travail à distance, depuis chez elle. Cela se ferait uniquement sur proposition du médecin traitant, et avec l'accord du salarié.