© AdobeStock / Téléconsultation en médecine du travail
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GST-Médispace : la médecine du travail hors la loi

par Marie Duribreux / 06 mai 2025

Le service de prévention et de santé au travail Médispace-GST tente de se développer en toute illégalité sur le territoire et vers les collectivités territoriales. Or il n'est pas agréé par les pouvoirs publics et ne l’a jamais été, notamment parce qu'il opère uniquement en téléconsultation. Enquête.

« Comment peut-on confier le suivi médical de salariés hospitaliers exposés, dont 805 sous surveillance individuelle renforcée, à un service de prévention et de santé au travail (SPST) sans agrément, qui propose uniquement une formule distancielle ? » Représentante du personnel CFDT des Diaconesses Croix Saint-Simon, Eliane Gourden n'a toujours pas de réponse. Son établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic), qui gère plusieurs hôpitaux à Paris, a contracté fin 2024 avec le SPST GST-Médispace, après que le précédent service chargé de la santé au travail du personnel a dénoncé le contrat qui les liait depuis dix ans.

GST, qui a pignon sur rue depuis 2019, a ainsi proposé clé en main, et pour un coût équivalent à l’ancienne prestation, un outil personnel de gestion de sa santé pour chaque salarié - le passeport santé -, une plateforme de suivi et de planification des visites médicales - Médispace RH -, un module de téléconsultation avec un médecin du travail référent, et une équipe pluridisciplinaire. 

Le hic : GST n’est pas agréé comme SPST par les pouvoirs publics et ne l’a jamais été. L’opérateur, qui argue toujours auprès de ses prospects d’un dossier d’agrément en cours, a pourtant fait l’objet d’au moins deux refus : un premier par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’Ile-de-France en juillet 2019, un second par la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) Paca, le 12 novembre 2024.

Selon nos informations, les services de l’administration du Travail ont minutieusement « bétonné » leur dossier de refus d’agréement afin de ne pas risquer de voir leur décision contestée devant le tribunal administratif. Car, du côté de la rue de Grenelle, on insiste sur le fait que la santé au travail ne peut pas se limiter à la visite médicale, qui plus est en téléconsultation. Le salarié doit pouvoir, s’il le souhaite, rencontrer un médecin pour se faire examiner. Et le médecin du travail ou les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) du service doivent pouvoir se rendre sur les lieux de travail pour étudier les postes et proposer des aménagements.

Locaux inadaptés

La Dreets Paca, qui s’est prononcée sur le dossier d’agrément de GST, s’est appuyée sur l’article D. 4622-49-1 du Code du travail qui définit un cahier des charges très précis pour l’obtention de ce sésame indispensable au suivi médical des salariés. Selon nos sources, le dossier de GST a achoppé sur quatre critères : absence de gouvernance paritaire, carences dans la pluridisciplinarité des équipes, maillage territorial et accessibilité de ses centres nettement insuffisants, et enfin une offre de service limitée puisque les possibilités d’action en milieu de travail apparaissent des plus réduites. Ces deux derniers critères semblent très liés à la nature de la prestation en téléconsultation qui est l’essentiel de la raison d’être de GST. 

En outre, selon le témoignage d’un ancien médecin inspecteur du travail, si des locaux ont bien été loués dans les localités où GST a décroché des contrats, ceux-ci tenaient davantage de « cagibis » que de véritables lieux conçus pour recevoir et examiner des patients dans le respect de la confidentialité qu’exige une activité médicale. Selon une autre source, il semble d’ailleurs que ces locaux n’avaient été loués que le temps de la procédure d’agrément. Et en tout état de cause, ils ne répondaient pas à l’exigence d’un service de proximité pour les salariés, qui doivent pouvoir accéder facilement à un centre, fixe ou mobile, de santé au travail.

Non-respect du Code du travail

Depuis l’activation du service aux Diaconesses, 80 visites médicales - en priorité des visites initiales, de pré-reprise ou de reprise - ont été effectuées par les cinq médecins du GST. Mais les élus CFDT au CSE ne désarment pas. Ils ont interpellé l’inspection du travail et la Drieets Ile-de-France, de sorte que la direction des ressources humaines cherche désormais une nouvelle solution, avant même la fin du contrat signé avec GST. 

« La loi prévoit que les SPST doivent disposer d’un agrément administratif pour pouvoir exercer leur activité », nous confirme la Direction générale du Travail (DGT), dans un mail du 26 mars. « La téléconsultation est un outil à la disposition des SST, davantage utilisé depuis le Covid, mais qui est strictement encadré », renchérit Jean-Michel Wendling, médecin du travail et ancien médecin-inspecteur régional. « Le modèle du 100% téléconsultation n’est pas compatible avec l’exercice de la santé au travail tel que défini par le Code du travail, puisque le consentement du travailleur ne peut être obtenu dans tous les cas, et que certaines pathologies comme les troubles musculosquelettiques nécessitent forcément un examen clinique.»

Dès lors, quelle est la validité des avis d’inaptitude délivrés dans ce cadre ? D’après nos sources, la situation reste floue. Un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2014, volontiers cité par GST, avait tranché favorablement, mais cet arrêt était de portée limitée car le SPST en cause avait simplement tardé à renouveler son agrément.

Les représentants du personnel aux Diaconnesses mettent aussi en doute la légitimité des membres de l’équipe médicale du GST à exercer en tant que médecins du travail. Et pour cause, l’un des professionnels ayant signé les avis d’aptitude émis par cette structure serait médecin généraliste, si l’on se réfère au tableau du Conseil national de l’Ordre des médecins. Selon nos informations, des Conseils départementaux de l’Ordre ont été saisis : nous avons pu consulter au moins un rappel au Code du travail et de la déontologie médicale faite par celui des Côtes d’Armor à une consœur exerçant pour le GST. 

Dossier pénal

Si certains SPSTI ont pu obtenir leur agrément dans le passé malgré quelques lacunes dans leur dossier, plusieurs interlocuteurs rencontrés au cours de notre enquête jugent que la situation du GST est inédite et justifierait une action plus radicale des pouvoirs publics. Pour Dominique Boscher, médecin du travail à la retraite et ancien négociateur CFDT, « le contexte de pénurie de médecins du travail y est sûrement pour beaucoup ».

« Plusieurs actions ont été mobilisées sur le terrain, pour alerter les entreprises sur le caractère illégal de cette activité », nous certifie la DGT, qui a fait en 2023 un signalement au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, selon lequel toute autorité ou fonctionnaire qui a la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis au procureur de la République.

Le pénal est l’un des chevaux de bataille de Présanse sur ce dossier. L’organisme représentatif qui fédère les SPST a déposé plainte pour tromperie en avril 2023 avant de se constituer partie civile auprès d'un juge d'instruction en octobre 2023, incitant ses adhérents à faire la même démarche. 

En attendant, le GST, qui emploie 22 médecins, sept infirmiers et un psychologue du travail, prospère : en contrat avec 1 843 entreprises, il suivait 70 070 salariés au 31 décembre 2023, en augmentation de +140% sur un an selon le procès-verbal de sa dernière assemblée générale, le 19 décembre 2024. Son président, Patrick Augustin, apparemment sur le départ, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Une chose est sûre : le prestataire étend désormais ses filets en direction des collectivités locales. D’autant que dans la fonction publique, aucun agrément administratif n’est nécessaire pour l’exercice de la santé au travail.

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