© Arthur Junier

Quel dialogue social pour la prévention ?

par Nathalie Quéruel, rédactrice en chef adjointe / avril 2023

L’année 2023, c’est l’heure du renouvellement pour de nombreux CSE. Et le bilan n’est pas brillant, selon le dernier rapport du comité d’évaluation des ordonnances Macron, qui a été prié… de ne plus donner son avis. La disparition du CHSCT, dont l’instance unique hérite des prérogatives, et le dessaisissement de la loi au profit du dialogue social en entreprise, au moment où le rapport de force y était le plus déséquilibré, ne se sont pas traduits par des avancées en faveur de la santé au travail, tant s’en faut. L’effacement des enjeux de prévention, noyés dans les ordres du jour pléthoriques des réunions plénières, comme l’indigence des accords sur la qualité de vie au travail, aux mesures essentiellement cosmétiques, en témoignent. Ainsi, ce dialogue social, qui occupe fort inconsidérément représentants du personnel et DRH, tourne à vide, sans parvenir à changer le quotidien des salariés.
Dans ce contexte, il n’est pas aisé de renverser la vapeur. Sauf à rappeler que, sur les conditions de travail, il n’y a pas de plan B, tant les échanges et confrontations de points de vue sont constitutifs d’une démarche de prévention efficace. Une priorité s’impose : nourrir la discussion des réalités du terrain, en recueillant la parole des premiers concernés. Des ressources existent pour accompagner les élus du personnel. Lesquels, même si c’est par le chas d’une aiguille, ont la possibilité d’inviter les questions du travail dans toute négociation collective.

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De l’utilité d’un regard extérieur

par Clotilde De Gastines / avril 2023

Afin de sortir d’un face-à-face stérile ou de maîtriser les arcanes de la négociation, les partenaires sociaux peuvent s’appuyer sur des intervenants, cabinets d’expertise ou consultants. Un accompagnement parfois de nature à (re)mettre la santé au travail sur les rails.

Le dialogue social, sur un sujet aussi complexe et clivant que la santé-sécurité au travail, s’avère un exercice ardu à mener. Représentants des salariés et directions des entreprises ont la possibilité de faire appel à des intervenants extérieurs pour créer les bases d’une discussion commune. Plusieurs options sont sur la table : les unes relèvent d’un choix de l’employeur, qui peut recourir à des consultants spécialisés dans le domaine ; les autres d’une décision des élus du personnel, qui peuvent solliciter une expertise auprès d’un cabinet agréé.
Quelle que soit sa forme, l’intervention d’un tiers extérieur vise en général à insuffler des échanges sur la question du travail réel. « Mon rôle consiste à objectiver des situations de travail bien concrètes pour déplacer le rapport social de tension et construire quelque chose de nouveau », explique Isabelle Jay, ergonome. Le cabinet qu’elle a fondé, Abitus, répond à la requête de chefs de petites entreprises, souvent dépassés par la montée des risques psychosociaux. Dans le cadre du « consulting », les délais sont plus souples que dans celui d’une expertise, réglementé. « Je teste très tôt des hypothèses. Ainsi, quand mon rapport est restitué, les salariés sont en réflexion depuis quelques mois sur leur activité. Ce qui permet de créer les conditions d’une transformation par les premiers concernés », précise Isabelle Jay, qui rencontre systématiquement les élus du personnel, en tant qu’acteurs de la prévention, qu’ils participent ou non au comité de pilotage de la direction. « C’est un accompagnement qui va soutenir le dialogue social mais de façon indirecte, car ce n’est pas l’objectif premier », ajoute-t-elle.

Sensibiliser les managers de proximité

De son côté, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) propose aux entreprises une méthodologie visant à rendre les acteurs plus autonomes dans la conduite du dialogue social. Cet apprentissage collectif et paritaire, puisqu’il embarque le « couple » élus du personnel-employeur, repose sur deux prérequis : reconnaître les légitimités respectives des parties et assurer la qualité des informations partagées. « Ce dernier point fait souvent défaut, cela empêche le pouvoir d’agir des élus », observe Marion Gilles, sociologue et chargée de mission à l’Anact. Repères juridiques, développement des capacités à négocier, création d’un espace de discussion sur le travail selon un cadre et des règles coconstruites avec les parties prenantes… différents outils sont mobilisés dans cet accompagnement. « On sensibilise aussi les managers de proximité à l’utilité du dialogue social, car parfois ils ne se sentent pas concernés, ou alors on sent des résistances, la crainte de perdre une partie de leur pouvoir en partageant l’accès aux situations de travail », décrit Evelyne Escriva, cheffe de projet au sein de l’Agence.
A l’inverse, les représentants du personnel sont à la manœuvre lorsqu’ils votent une expertise en CSE, en fonction de trois motifs : projet important, risque grave ou « libre ». « En général, c’est le dernier recours, quand les élus estiment qu’ils n’ont pas la ressource pour pouvoir traiter un sujet, ou que le diagnostic n’est pas partagé au départ, indique Stéphanie Gallioz, experte santé, sécurité et conditions de travail au sein du cabinet Syndex. La mission de l’expert peut permettre de rééquilibrer les forces en présence en termes de dialogue social et ouvrir les chakras des représentants de la direction sur la question des conditions de travail. »
« C’est en réduisant l’asymétrie dans l’accès aux informations que l’expertise contribue au dialogue social », renchérit Annabelle Chassagnieux, intervenante santé-travail au cabinet Aptéis. Depuis quelques mois, elle multiplie les expertises dans le tertiaire, pour accompagner les transformations des conditions de travail générées par les déménagements de bureaux et le passage au flex office. Des projets dont il est primordial de mesurer les conséquences sur l’activité et la santé des salariés : « La direction vote le principe du flex office au niveau du CSE central, mais il y a mille et une façons de le décliner sur le terrain, en fonction du taux d’occupation et des métiers qui resteront présents sur les futurs sites, détaille-t-elle. Le risque, c’est que les élus locaux, moins nombreux qu’avant, se sentent trop éloignés de la réalité du travail. »

Chambre d’enregistrement

Le dialogue social a besoin d’être nourri pour éviter que les dynamiques ne s’essoufflent. En fin de mission, les rapports d’expertise proposent « une trajectoire », résume Stéphanie Gallioz. Ainsi que des préconisations en santé au travail dont les acteurs institutionnels – services de santé au travail, Inspection du travail – pourront assurer le suivi. Charge aux élus de mettre ces points au menu des discussions du CSE.
Et c’est là que les intentions se heurtent à la baisse des moyens. Avec la fusion des instances représentatives, les élus du personnel ont perdu des heures de délégation (surtout au sein des grandes entreprises), alors que les ordres du jour des CSE se sont densifiés. On compte parfois une trentaine de points à discuter, par 30 à 40 membres, dont certains sont en visioconférence, éparpillés aux quatre coins de la France. « On perd énormément en qualité de dialogue, en qualité d’écoute et d’argumentation. Le CSE est en passe de devenir une chambre d’enregistrement et non plus un lieu de dispute au sens noble du terme », regrette Annabelle Chassagnieux. Difficile d’alimenter des actions durables, surtout dans les PME, où beaucoup d’élus ne sont pas syndiqués et, par conséquent, demeurent très isolés.
Ainsi, les tiers intervenants ne peuvent pas tout, et particulièrement empêcher que le dialogue social tourne à vide ou capote. Dans ces cas-là, l’expertise demeure un document important ; elle devient une pièce juridique qui peut être produite au tribunal, aux prud’hommes ou au pénal, comme dans l’affaire des suicides chez France Télécom, ou dans celle de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge.

A LIRE

  • « Faire du CSE un levier d’amélioration des conditions de travail », Capitaliser, Cahier de l’Anact n° 3, janvier 2023.