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Quel dialogue social pour la prévention ?

par Nathalie Quéruel, rédactrice en chef adjointe / avril 2023

L’année 2023, c’est l’heure du renouvellement pour de nombreux CSE. Et le bilan n’est pas brillant, selon le dernier rapport du comité d’évaluation des ordonnances Macron, qui a été prié… de ne plus donner son avis. La disparition du CHSCT, dont l’instance unique hérite des prérogatives, et le dessaisissement de la loi au profit du dialogue social en entreprise, au moment où le rapport de force y était le plus déséquilibré, ne se sont pas traduits par des avancées en faveur de la santé au travail, tant s’en faut. L’effacement des enjeux de prévention, noyés dans les ordres du jour pléthoriques des réunions plénières, comme l’indigence des accords sur la qualité de vie au travail, aux mesures essentiellement cosmétiques, en témoignent. Ainsi, ce dialogue social, qui occupe fort inconsidérément représentants du personnel et DRH, tourne à vide, sans parvenir à changer le quotidien des salariés.
Dans ce contexte, il n’est pas aisé de renverser la vapeur. Sauf à rappeler que, sur les conditions de travail, il n’y a pas de plan B, tant les échanges et confrontations de points de vue sont constitutifs d’une démarche de prévention efficace. Une priorité s’impose : nourrir la discussion des réalités du terrain, en recueillant la parole des premiers concernés. Des ressources existent pour accompagner les élus du personnel. Lesquels, même si c’est par le chas d’une aiguille, ont la possibilité d’inviter les questions du travail dans toute négociation collective.

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La discussion sur le travail, clé de la sécurité industrielle

par Eliane Patriarca / avril 2023

Prévenir les accidents graves ou les catastrophes technologiques demande de développer au sein des entreprises une conscience partagée des risques, en misant sur l’expérience et le savoir-faire des salariés. Une approche qu’il faut concrétiser.

Un dialogue social de qualité est une composante essentielle de la sécurité dans les organisations : tel est l’enseignement du dernier cahier (voir Sur le Net) de l’Institut pour une culture de sécurité industrielle (Icsi), association créée en 2003 par de grandes entreprises et financée par celles-ci. Une préconisation a priori pas révolutionnaire, mais qu’il s’avère pourtant, à la lecture de cette publication, indispensable de démontrer tant elle est rarement mise en œuvre.
« Le dialogue social reste trop souvent un leurre : les salariés ne sont pas écoutés. Sauf en cas de grave accident, où on accorde enfin du crédit à leur parole et à leurs alertes ! », témoigne Jean-Marie Branstett, représentant FO de l’Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP). Le syndicaliste a participé aux échanges du groupe de travail monté par l’Icsi, qui a réuni durant trois ans une quinzaine de responsables sécurité de grands groupes et de représentants de fédérations syndicales. Leur objectif : élaborer une série de pistes concrètes pour faire progresser le dialogue social et l’ériger en pilier de la politique de sécurité. Laquelle est définie par l’Icsi comme un « ensemble de manières de faire et de penser largement partagées par les acteurs d’une organisation à propos de la maîtrise des risques les plus importants liés à ses activités, reflétant la place donnée à la sécurité dans toutes les décisions, services et métiers, et à tous les niveaux hiérarchiques ».
Au fil des réunions, les échanges ont montré à quel point, dans les entreprises à risques, « domine encore une culture de la sécurité managériale », déplore Jean- Marc Vaugier, directeur général adjoint de l’Icsi et copilote du groupe de travail : « Le manager reste convaincu qu’il est le sachant et le seul à pouvoir édicter des règles, qu’il demande ensuite aux acteurs de terrain d’appliquer. » Or, personne ne détenant l’ensemble des connaissances, « la probabilité que ça marche est plus que faible ! », prévient-il.

Libérer la parole des salariés

« La réalité concrète du travail est souvent méconnue des personnes chargées d’élaborer les procédures », renchérit Pascal Mathieu, représentant CFE-CGC au groupe d’échanges, ex-ingénieur aéronautique d’Air France, où il a piloté le département sécurité du travail. « Les solutions et savoir-faire développés par les salariés sont souvent ignorés ou négligés. L’information se fait uniquement via des injonctions et des normes », précise-t-il.
Dans son cahier, l’Icsi prône au contraire une culture intégrée de la sécurité, « qui prenne en compte à la fois l’anticipation des situations à risques par les experts et le management, et la voix des métiers sur les conditions réelles des opérations, pour que les règles adoptées soient en phase avec le quotidien du travail ». Reste à savoir si la méthodologie proposée pour y parvenir est de nature à convaincre les entreprises de libérer la parole des salariés et changer des habitudes bien ancrées.

Sur le Net
  • « Dialogue social et culture de sécurité », Les Cahiers de la sécurité industrielle n° 2023-2, Edition coordonnée par Bernard Dugué, Jean- Marc Vaugier et Francis Berrocal. En accès gratuit sur le site www.icsi-eu.org