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La moitié des employeurs ne tirent pas les leçons des accidents du travail

par Catherine Abou El Khair / 17 juin 2025

Seule la moitié des employeurs contrôlés à la suite d’un accident du travail ont pris des mesures de prévention suffisantes pour éviter qu’il ne se reproduise, selon un bilan de la Direction générale du travail mené dans un millier d’établissements.

En 2022, dans une menuiserie du Tarn, un salarié décède, écrasé par des plaques de bois adossées à un mur. Un accident évitable : l’enquête sur les causes de l’accident révèle « l’absence de moyen » permettant de les retenir. Et pourtant, en retournant sur les lieux près de deux ans après l’accident, l’inspectrice du travail constate que les salariés continuent d’être exposés au risque d’écrasement : l’employeur s’était contenté de mettre en place de « simples tendeurs ». Ce n’est qu’après une mise en demeure qu’il a vraiment sécurisé les conditions de stockage, et mis à jour son document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).

L’exemple, rapporté par la Direction générale du travail (DGT), n’a rien d’un cas isolé. Tout faire pour qu’un accident du travail ne se reproduise n’a rien d’un réflexe systématique. Dans les 1.149 établissements contrôlés a posteriori par des inspecteurs du travail, la DGT révèle que seule la moitié des employeurs (50,6%) a fini par mettre en place des mesures concrètes de prévention, pour supprimer ou réduire les risques auxquels sont exposés les salariés. « Les employeurs ne tirent que trop rarement les conséquences des accidents du travail qui surviennent », ce qui tend à « favoriser leur réitération », peut-on lire dans le bilan de cette campagne de prévention menée en 2024.

Trois employeurs sur dix (29,6%) n’ont pas du tout réévalué les risques à l’origine des accidents. Et un quart d’entre eux (25,7%) l’ont fait de manière insuffisante. 38% des employeurs seulement ont mis à jour leur document unique d’évaluation des risques professionnels. Cette obligation formelle est négligée, y compris par ceux qui ont fait l’effort d’analyser les causes des accidents. 

Déni des employeurs

Pourtant, les entreprises contrôlées relèvent de secteurs parmi les plus accidentogènes. Il s’agit d’entreprises de moins de 250 salariés, issues du BTP, du transport de marchandises, de l’hébergement social et médical, de l’exploitation forestière ou encore de l’aménagement paysager. Les salariés de ces entreprises ont pu être victimes d’accidents liés à la manutention ou à l’utilisation d’outils, de chutes de hauteur ou de plain-pied, d’agressions de la part du public, ou encore de heurts par un élément végétal. 1% des accidents du travail analysés ont été mortels. Dans 60% des cas, ils ont entraîné un arrêt de moins de 30 jours et, dans 35% des cas, un arrêt supérieur à un mois.

Ces négligences ne surprennent guère Michel Bianco, du collectif « Stop aux morts au travail ». Elles font écho à la stratégie de défense des entreprises lors des procès engagés à la suite d’accidents mortels. « Souvent, les employeurs nient leurs responsabilités. Ils expliquent que c’est la faute des victimes qui n’ont pas respecté les procédures, ou alors ils invoquent les circonstances, comme des délais trop serrés », analyse l’ancien syndicaliste, dont le fils a été lui-même victime d’un accident mortel en 2006. De la minimisation du risque à sa banalisation en passant par l’incrimination des salariés ou le manque de moyens financiers, les employeurs mobilisent différents arguments pour se dédouaner. « Même quand ils sont alertés, les employeurs occultent les risques du travail », observe Rémy Ponge, maître de conférences en sociologie à l'Institut Régional du Travail de Marseille et membre du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest).

Elus du personnel et médecins du travail à l’écart

Le bilan révèle aussi le défaut de communication sur les accidents du travail. Près de la moitié des employeurs n’a organisé aucune réunion avec le CSE. Ce qui ne facilite guère la participation de ces instances à l’analyse des causes, puisque seul un tiers des accidents a fait l’objet d’une enquête conjointe. Pourtant« le comité social et économique a toute compétence pour agir sur les accidents du travail et dispose d'énormément d'outils à sa disposition », rappelle Rémy Ponge. Encore faut-il que les élus soient formés en matière de santé et sécurité au travail. Or, ils ne l’étaient pas dans 45% des entreprises contrôlées, constate la DGT. Au total, seul un tiers des établissements a respecté l’obligation d’informer et de consulter le CSE.

Les services de prévention et de santé au travail (SPST) sont également mis à l’écart. 37% des employeurs seulement ont respecté leur obligation de les informer des arrêts de travail de moins de 30 jours liés aux accidents. En conséquence, uniquement 28% de victimes ont bénéficié d’une visite. Et sur le tiers de visites de pré-reprise ou de reprise auprès du médecin du travail qui a donné lieu à des préconisations, seule la moitié de celles-ci ont été suivies par l’employeur. Quant aux victimes d’accidents ayant entraîné un arrêt de plus d'un mois, elles ne sont que 73% à avoir bénéficié d'une visite de reprise.

Climat d’impunité

C’est finalement l’intervention des inspecteurs du travail qui amène les employeurs à se conformer à leurs obligations. Le problème, c’est que les agents de contrôle concentrent leurs enquêtes sur les accidents les plus graves. De nombreux employeurs échappent donc à leur visite. « Lorsqu’on réalise des enquêtes sur les accidents du travail, nos observations sont généralement écoutées. Mais on manque de moyens pour remplir nos missions de prévention », dénonce, agacée, Cécile Clamme, secrétaire générale de la Cgt-Travail, emploi et formation professionnelle (Cgt-Tefp).

Alors que l’indice de fréquence des accidents du travail s’est stabilisé depuis plus d'une décennie, les conditions pour qu’il diminue ne sont toujours pas réunies. Malgré les efforts de recrutements d'inspecteurs du travail menés ces trois dernières années, d'ici à l'été 2026, « il restera encore 200 postes vacants, sur un total de 2.000 », observe Cécile Clamme. D’après elle, il faudrait « au moins 1 agent pour 5.000 salariés et non 1 pour 10.000 ».

L’autre facteur entretenant la négligence des employeurs est la timidité des sanctions pénales. « La délinquance patronale n’est pas suffisamment sanctionnée. On observe une multiplication des amendes avec sursis appliquées aux seules personnes morales. À partir du moment où le risque encouru est faible, c’est « pas vu, pas pris » ».

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