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Ce travail qui plombe le sommeil

par François Desriaux / juillet 2015

Dis-moi comment tu dors et je te dirai comment est ton travail... Il est maintenant bien établi que la plupart des contraintes physiques et psychiques de travail peuvent avoir une influence néfaste sur le sommeil, en termes de durée et de qualité. Il y a bien sûr le travail en horaires alternants, de nuit, et les longues journées. Mais pas seulement. L'insatisfaction dans son travail, le travail répétitif sous pression temporelle, la difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle ou encore les efforts physiques lourds vont venir perturber le sommeil. Et c'est encore plus net avec le fait de devoir effectuer des choses que l'on désapprouve. Or ces troubles du sommeil ne sont pas bons pour la santé. Les mécanismes inflammatoires qu'ils déclenchent peuvent déboucher à la longue sur des pathologies chroniques lourdes. Ce n'est pas rien, surtout avec une population de travailleurs âgés qui augmente du fait du recul de l'âge de la retraite. S'inquiéter des troubles du sommeil chez les salariés quand on est médecin du travail ou élu de CHSCT n'est donc pas superflu. C'est même une façon de garder les yeux grands ouverts sur la santé au travail.

"Les travailleurs postés accumulent une dette de sommeil"

par Clotilde de Gastines / juillet 2015

Pour Damien Léger, professeur de médecine et spécialiste des troubles du sommeil, la prise en charge de ceux-ci suppose de regarder du côté du travail. Une démarche qu'il poursuit dans ses recherches et au Centre du sommeil qu'il dirige.

Le centre hospitalier dédié aux troubles du sommeil que vous dirigez s'intéresse-t-il aux conditions de travail ?

Damien Léger : Nous avons ouvert une consultation spécifique de pathologies professionnelles intitulée "sommeil, vigilance et travail", quasiment dès la création du Centre du sommeil et de la vigilance au sein de l'AP-HP [Assistance publique-Hôpitaux de Paris, NDLR]. Depuis une vingtaine d'années, le centre a une triple vocation de soins, recherche et enseignement. Nous sommes intéressés en particulier par les liens entre travail et rythmes veille-sommeil.

Vos recherches confirment-elles l'impact du travail sur le sommeil ?

D. L. : Oui, en particulier pour les salariés en travail de nuit ou posté, ainsi que pour les travailleurs indépendants de la restauration, des services et du spectacle. Plusieurs millions de personnes vivent un décalage de leur horloge biologique, ont peu de possibilités de se reposer dans la journée et, par conséquent, éprouvent de grandes difficultés pour dormir.

On estime que ces travailleurs perdent une heure de sommeil chaque jour par rapport aux salariés travaillant en journée. Ils accumulent une dette de sommeil d'une nuit par semaine et de quarante nuits par an. Les conséquences à court terme se manifestent par des troubles du sommeil variés : insomnies, terreurs nocturnes, somnolences plus ou moins sévères au cours de la journée de travail, avec un risque élevé d'accident au moment de rentrer chez soi. Et à long terme, ce sont des risques pour la santé : obésité, diabète de type 2, cancer du sein et troubles de la santé mentale.

Comment abordez-vous cette question avec vos patients ?

D. L. : Parmi les 18 praticiens qui reçoivent en consultation, plusieurs sont médecins du travail à l'origine. Ils explorent les conditions de travail, surtout quand les personnes sont hospitalisées. Nous utilisons des questionnaires et outils validés au niveau international. Le patient remplit un agenda du sommeil. Nous l'interrogeons aussi sur son horloge biologique et, en cas d'anxiété, utilisons un questionnaire spécifique. Si nécessaire, nous avons recours à la polysomnographie, qui consiste à enregistrer une nuit complète de sommeil à l'aide d'électrodes. Cela donne une idée précise de la quantité et de la qualité du sommeil. Le salarié peut aussi porter un actimètre, montre qui enregistre ses phases d'activité et de repos jour et nuit, pendant deux semaines de travail.

Quelles pistes de prévention proposez-vous vis-à-vis du travail ?

D. L. : Nous dispensons des formations en entreprise sur les horaires décalés, le travail posté et de nuit, auprès des médecins du travail comme des salariés. On apprend à ces derniers à faire des siestes ou à se remobiliser en cas de somnolence. Au sein de l'AP-HP, nous menons aussi une réflexion afin que le personnel travaillant de nuit utilise les pauses de 30 minutes pour faire des siestes. Sur le travail de nuit, nous avons mis au point des brochures décrivant ses effets sur la santé à long terme.

Notre laboratoire a d'ailleurs coordonné l'élaboration des recommandations de la Société française de médecine du travail sur le suivi des travailleurs de nuit et postés, avec le soutien de la Haute Autorité de santé. Et je participe au groupe de travail "horaires atypiques" de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, qui devrait remettre son rapport en fin d'année.