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Ce travail qui plombe le sommeil

par François Desriaux / juillet 2015

Dis-moi comment tu dors et je te dirai comment est ton travail... Il est maintenant bien établi que la plupart des contraintes physiques et psychiques de travail peuvent avoir une influence néfaste sur le sommeil, en termes de durée et de qualité. Il y a bien sûr le travail en horaires alternants, de nuit, et les longues journées. Mais pas seulement. L'insatisfaction dans son travail, le travail répétitif sous pression temporelle, la difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle ou encore les efforts physiques lourds vont venir perturber le sommeil. Et c'est encore plus net avec le fait de devoir effectuer des choses que l'on désapprouve. Or ces troubles du sommeil ne sont pas bons pour la santé. Les mécanismes inflammatoires qu'ils déclenchent peuvent déboucher à la longue sur des pathologies chroniques lourdes. Ce n'est pas rien, surtout avec une population de travailleurs âgés qui augmente du fait du recul de l'âge de la retraite. S'inquiéter des troubles du sommeil chez les salariés quand on est médecin du travail ou élu de CHSCT n'est donc pas superflu. C'est même une façon de garder les yeux grands ouverts sur la santé au travail.

Sommeil : ce qu'il faut retenir

juillet 2015

Vous avez dit troubles du sommeil ?

  • Derrière le terme de "troubles du sommeil" sont regroupés différents types de perturbations, dont :
    • l'insomnie, soit une durée insuffisante ou une mauvaise qualité de sommeil, sur quelques jours à des mois ;
    • l'hypersomnie, soit une somnolence diurne excessive, allant jusqu'à l'endormissement, parfois liée à une privation de sommeil ;
    • le syndrome d'apnées obstructives du sommeil, qui dégrade celui-ci et peut s'accompagner de somnolence diurne ;
    • le syndrome des jambes sans repos, caractérisé par une sensation de brûlure ou des fourmillements dans les membres inférieurs empêchant l'endormissement.
  • Ces troubles peuvent être liés au travail. C'est le cas pour les salariés en horaires alternants ou de nuit, ayant de longues journées de travail, ou confrontés à des situations de harcèlement et de stress. Au-delà, l'enquête nationale Santé et itinéraire professionnel (SIP) montre que des contraintes physiques ou psychiques peuvent avoir un impact sur le sommeil : les tâches répétitives sous cadence imposée, les efforts exigeants ou les vibrations sur outils et machines, le fait d'être sous pression... Les difficultés à concilier vie privée et vie professionnelle, la peur de perdre son emploi ou le sentiment de faire un travail que l'on désapprouve semblent particulièrement nuisibles. Les troubles du sommeil sont aussi parfois liés à des pathologies professionnelles : douleurs nocturnes dues aux troubles musculo-squelettiques, insomnies liées à des états anxiodépressifs...
  • Le travail peut donc altérer le sommeil par de multiples biais. Mais seuls 25 % des patients concernés exprimeront une plainte à ce propos. Les salariés n'y voient pas un enjeu de santé. Et lorsqu'ils identifient un lien avec leur activité, notamment ceux travaillant de nuit, ils tendent à considérer ces troubles comme un mal nécessaire. Leurs plaintes sur le sujet arrivent donc bien souvent quand ils n'en peuvent plus. Soit parfois trop tard pour trouver des solutions adaptées à leur activité.

De multiples effets sur la santé

  • Les troubles du sommeil peuvent avoir des conséquences importantes sur la santé et la sécurité des salariés. En effet, l'organisme humain est régi par différentes horloges, biologique ou liée au rythme jour/nuit, que le travail peut sévèrement perturber en même temps que le sommeil.
  • Physiologiquement, plus la durée de veille est prolongée, plus la pression du sommeil est forte. Certaines périodes de la journée, la nuit et le début d'après-midi, sont propices au sommeil, quand d'autres ne le sont pas, comme la fin d'après-midi. Enfin, il y a une inertie du sommeil, qui entrave le réveil lorsqu'il survient pendant les phases de sommeil profond, soit très tôt le matin. Si le travail ne respecte pas ces rythmes, les salariés peuvent se retrouver en état de fatigue ou de vigilance moindre, avec des risques d'accident. Les troubles du sommeil sont ainsi associés à un risque routier aggravé, notamment pour les trajets travail-domicile.
  • Au-delà, le déficit de sommeil entraîne des réactions biologiques, et notamment un processus inflammatoire, aux conséquences multiples. En déréglant la production d'hormones régissant l'appétit, le déficit de sommeil accroît le risque d'obésité. Le processus inflammatoire qu'il déclenche peut altérer le fonctionnement du cerveau, en provoquant des troubles du comportement ou une dégradation de la mémoire et des capacités d'apprentissage, accroître le risque de diabète et celui de maladies cardiovasculaires, ou encore favoriser l'apparition de pathologies tels certains cancers.
  • Selon l'enquête Vieillissement, santé, travail (Visat), les troubles du sommeil générés par le travail de nuit semblent réversibles, dès lors que les salariés ne sont plus exposés à ce dernier. Selon l'enquête SIP, un salarié sur dix déclare néanmoins subir des troubles du sommeil presque tous les jours. Au vu de leurs effets potentiels à long terme sur la santé, ils constituent donc un enjeu de prévention, nécessitant de prendre en compte l'impact du travail.

Améliorer la prise en charge

  • Médecins généralistes et du travail doivent développer une approche active de la qualité du sommeil avec leurs patients, en menant l'enquête sur les troubles ressentis et leurs causes, en y intégrant les conditions de travail afin de proposer des mesures de prévention adaptées. Des cliniques du sommeil ont été créées, qui intègrent le facteur travail dans leur démarche thérapeutique.
  • Le traitement des troubles du sommeil se résume trop souvent à la prise de psychotropes ou d'hypnotiques. Or la consommation sur le long terme de ces médicaments, notamment des benzodiazépines, présente des risques de dépendance ou de dégradation des fonctions cognitives, problématiques pour des salariés en activité. Il faut donc favoriser des solutions alternatives. Des approches non médicamenteuses (thérapies cognitivo-comportementales, hypnose) peuvent aider. Le rappel de règles d'hygiène relatives au sommeil est aussi utile. Mais ces mesures ne suffisent pas à prévenir les effets délétères d'un travail qui désorganise les rythmes biologiques. Des aménagements du travail sont nécessaires, au niveau de son organisation ou du poste du salarié.
  • Concernant les horaires de travail atypiques, notamment de nuit ou alternants, l'application de certains principes généraux permet d'en limiter les dégâts : privilégier une rotation dans le sens des aiguilles d'une montre (du matin vers la nuit), limiter les changements imprévus, éviter les débuts de journée à 5 heures... La possibilité pour les salariés de faire une sieste de moins de 30 minutes, y compris sur leur lieu de travail, est aussi recommandée.
  • Dans certains secteurs, comme l'aérien, des "systèmes de gestion du risque fatigue" ont été développés. Ils permettent d'adapter les horaires afin d'en réduire la pénibilité, en tenant compte de l'activité. Néanmoins, la démarche la plus efficace consiste à donner aux salariés les marges de manoeuvre nécessaires dans le cadre du travail pour gérer au mieux, de façon individuelle ou collective, leur état de fatigue.