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Ne plus rogner sur la maintenance

par François Desriaux Stéphane Vincent / juillet 2018

A force de se recentrer sur leur coeur de métier, de rationaliser les activités périphériques, voire de les sous-traiter, les entreprises ont perdu de vue qu'il fallait "bichonner" la maintenance. Dans le monde d'avant, quand techniciens et ingénieurs tenaient le haut du pavé, prendre soin des machines et des systèmes était inscrit dans les gènes. Aujourd'hui, avec la montée en puissance des gestionnaires et des financiers, la logique s'est inversée. Réduire la maintenance préventive - qui coûte cher car elle immobilise les équipements - permet d'augmenter le taux de rendement global.
Tant pis s'il s'agit d'économies de court terme, qui vont générer des pannes et une moindre qualité des produits ou des services. Nos enquêtes à la SNCF et dans le secteur informatique en témoignent. Sans parler des conséquences potentiellement graves dans les industries à risque. Tant pis aussi pour les conditions de travail et les risques professionnels. Aussi bien pour les techniciens de maintenance, qui vont devoir jouer les pompiers en intervenant dans l'urgence, que pour les opérateurs en production industrielle ou servicielle contraintes de compenser les dysfonctionnements. Prendre soin de la maintenance, prévoir cette activité dès la conception, c'est aussi prendre soin du travail et de ceux qui le font.

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Les bugs du travail informatique nouvelle version

par Elsa Fayner / juillet 2018

Confinés dans des tâches de plus en plus restreintes, censés gérer les défaillances de produits de moins en moins bien finalisés, les techniciens de la maintenance informatique ont le blues. Quand ils ne stressent pas d'être dépassés professionnellement.

La maintenance informatique, c'est comme un congélateur dans un appartement : c'est le seul élément qui doit fonctionner 24 heures sur 24 tout en restant discret, résume Fabrice Rauzier, expert CHSCT au cabinet Syndex. Sans maintenance, pas d'activité. C'est le nerf de l'entreprise." Il s'agit d'assurer le bon fonctionnement des outils matériels - ordinateurs, imprimantes, claviers, disques durs, etc. -, mais aussi des logiciels, qu'ils soient spécifiques à l'activité de l'entreprise ou plus génériques. Cette maintenance est effectuée par des informaticiens, qui peuvent travailler dans un service dédié au sein d'une entreprise ou chez un prestataire spécialisé, une société de services et d'ingénierie informatique (SSII). Il arrive ainsi qu'une SSII soit elle-même l'ancien service informatique d'une entreprise, continuant à y intervenir après avoir été externalisé. Car c'est la tendance : séparer les tâches, saucissonner les métiers. Au risque d'appauvrir le contenu du travail.

"Avant il fallait réparer, maintenant il suffit de remplacer, indique Xavier1 , salarié du groupement d'intérêt économique (GIE) informatique d'un grand groupe de services et élu CHSCT. Nous avons des palettes entières d'ordinateurs prêts à être configurés. On ne les répare plus, on en propose une version plus récente." Parmi les causes invoquées, "l'évolution du matériel et de son coût". "Si le dépannage dépasse un certain nombre d'heures, mieux vaut remplacer, économiquement parlant, explique-t-il. De toute façon, les ordinateurs sont déjà obsolètes quand on les achète. C'est une course infinie engagée depuis vingt ans." Désormais, "seules les interventions de premier niveau - petites réparations, dépannage - se font chez nous", déplore Xavier Pour les plus grosses interventions, quand le remplacement n'est pas possible, ou pas rentable, un prestataire externe est appelé.

 

Le travail a aussi rétréci

 

Mais du côté des entreprises prestataires, le travail a aussi rétréci. "Au moins, quand on installe un nouvel ordinateur, il faut le configurer ! estime Jean-Paul Bacalerie, technicien itinérant dans une SSII. C'est un peu plus palpitant que de se contenter de changer un écran." Toute la journée chez des clients, il intervient pour des dépannages matériels sur des pièces défectueuses. Auparavant, il s'occupait également des interventions sur serveur - mises à jour d'antivirus, migrations, sauvegardes -, mais les deux activités ont été séparées dans son entreprise. "Quand je suis arrivé, les opérations avaient un intérêt intellectuel, c'était plus varié", se rappelle le salarié.

Ergonome et consultante en santé au travail, Blodine Canal constate chez ces intervenants "une certaine dépossession de leur travail, un sentiment d'appauvrissement de leur tâche et une perte de marges de manoeuvre". Des évolutions du métier qui correspondent à celles, plus globales, de l'organisation des services informatiques. "Le sentiment des informaticiens est qu'ils menaient auparavant des projets de A à Z, qu'ils avaient en main un projet, confirme l'ergonome. Aujourd'hui, ils interviennent par petits bouts." Tout en ayant une responsabilité forte. "Ils doivent être prêts pour la deadline et portent la responsabilité si ça se passe mal. C'est une forte charge. Alors qu'ils n'ont la main que sur une petite partie du processus."

 

Pallier les défauts, sans le montrer

 

Côté logiciels, cela se traduit notamment par un risque de détérioration de la qualité des produits. "Il y a quelques années, avant qu'un projet ne soit envoyé en production, les informaticiens pouvaient effectuer toutes les phases de test et donner le coup d'envoi, souligne Blodine Canal. Aujourd'hui, ce sont des exécutants. C'est le client qui fixe la deadline, ou le service d'à côté." Quitte à livrer un produit non finalisé, tout en demandant aux techniciens de maintenance de pallier ensuite les défauts auprès du client. De ce fait, ces techniciens doivent aujourd'hui "conjuguer une posture commerciale et une attitude professionnelle", signale Blodine Canal. Une position d'autant plus difficile, pour ceux qui se déplacent chez le client, que ce dernier "est susceptible d'évaluer en permanence leur travail", que les salariés doivent à tout moment "montrer qu'ils sont au bon niveau, qu'ils peuvent faire", selon l'ergonome.

"Hier encore, on m'a demandé une intervention de trois jours sur un marché public national, raconte Claude1, technicien de maintenance et membre du CHSCT d'une entreprise de matériel informatique. La personne formée sur le produit était en arrêt maladie et elle part à la retraite dans six mois. Le produit est sorti il y a trois ans mais une seule personne a été formée. Cela nous met dans des situations pénibles, et frustrantes."

Côté matériel, les ordinateurs portables sont particulièrement difficiles à démonter, leurs éléments sont miniaturisés et leur gamme vaste. Impossible de se former à tous les modèles et d'avoir sur soi tous les outils. "Pour le client, on est le dieu du matériel sur lequel on intervient, alors qu'on ne sait parfois pas le démonter, s'amuse à moitié Jean-Paul Bacalerie. On a quand même une petite expérience et on arrive généralement à s'en sortir. Et quand on n'y parvient pas, on sait qu'on a fait notre maximum." Mais tous les salariés n'arrivent pas à l'accepter avec ce recul. "Cela peut être générateur de stress pour des gens qui prennent ça très à coeur et qui se forment à la maison le soir, le week-end, sur des tutoriels, pour avoir un minimum d'informations", ajoute l'informaticien.

 

Devoir apprendre tout le temps

 

Ce que confirme Xavier : "Dans l'informatique, il y a une rapidité de la nouveauté, qui est plus ou moins évidente à prendre en compte en fonction de l'âge qu'on a. Cela peut générer beaucoup de stress, une peur de ne pas y arriver, de ne pas savoir s'adapter." Pour Claude, de telles situations sont "révélatrices de l'incapacité ou de l'absence de volonté du managementprévoir le futur"."La GPEC [gestion prévisionnelle des emplois et des compétences] n'a pas été très bien anticipée, considère lui aussi Xavier. Il va y avoir un effet papy-boom qui va être problématique. En 2025, plus d'un tiers de mon entreprise sera à la retraite."

Le problème est pourtant déjà présent. "Les langages informatiques que devaient connaître les développeurs dans les années 1980 ou 1990 ne sont plus enseignés dans les écoles, remarque Xavier. Or ils sont encore utilisés dans certaines entreprises. Et on commence à avoir des difficultés à trouver des compétences sur des logiciels un peu anciens.""Il y aura peut-être deux vitesses de maintenance dans le futur, avance Fabrice Rauzier, de Syndex. Il faut des salariés qui connaissent les anciennes technologies. Mais il faut aussi des salariés qui sachent se servir des nouvelles." Ce qui lui fait craindre "un appauvrissement des tâches allouées, notamment du fait d'une réduction du spectre d'intervention, d'une moindre sollicitation cognitive et, parfois de pratiques critiquables imposées".

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    Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.