© Léa Taillefert-Rolland

Le CSE doit s'emparer de la prévention

par Nathalie Quéruel / janvier 2020

C’est le big-bang introduit par les ordonnances travail. Le comité social et économique (CSE) enterre les anciennes instances  représentatives du personnel dans les entreprises de plus de dix salariés. Exit donc le CHSCT, qui avait montré sa capacité à peser sur l’amélioration des conditions de travail. Le CSE hérite de ses prérogatives. Qu’en fera-t-il pour préserver la santé des travailleurs ? C’est la question. La façon dont il a été mis en place ne prête pas forcément à l’optimisme. La négociation s’est résumée à une passe d’armes entre directions cherchant à rationaliser et syndicats tentant d’enrayer la baisse des moyens… quand cela n’a pas été une décision unilatérale de l’employeur !
Moins nombreux, avec moins d’heures de délégation, les représentants du personnel se retrouvent à bord d’une instance unique, hypercentralisée, qui les éloigne du terrain et dont le fonctionnement risque à tout moment l’embolisation. Malgré tout, et c’est ce que démontre ce dossier, des voies existent afin de hisser la santé au travail au même rang que les préoccupations économiques. Beaucoup reste à inventer pour demeurer en prise avec le réel vécu par les salariés, de la mission des représentants de proximité à la coopération avec les commissions santé, sécurité et conditions de travail. Sans compter que tous les élus ont droit à une formation ad hoc. Mettre la prévention primaire à l’agenda social du CSE, c’est possible.
 

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Changement de braquet pour les relations sociales

par Bernard Dugué ergonome, enseignant-chercheur à l’institut polytechnique de Bordeaux (Bordeaux INP) / janvier 2020

La structuration du dialogue social est désormais très hétérogène dans les entreprises. Les organisations syndicales jouent un rôle crucial dans la conduite du changement. Afin que les conditions de travail ne passent pas à la trappe.

Le regroupement des trois anciennes instances de représentation du personnel constitue un changement de paradigme dans les relations sociales. Ce qui était encadré par la loi est désormais renvoyé pour beaucoup à la négociation d’entreprise, où le rapport de force est généralement moins favorable aux salariés. Sans préjuger des évolutions, trois caractéristiques marquent déjà le fonctionnement du comité social et économique (CSE). Tout d’abord, une plus grande centralisation du dialogue social s’opère à deux niveaux : d’un côté, la fusion des instances en une seule ; de l’autre, la diminution du nombre de CSE, là où existaient auparavant plusieurs CE, CHSCT ou DP dans les entreprises avec plusieurs établissements. Ensuite, cette évolution s’accompagne d’une baisse des moyens, même si c’est avec des disparités ; cela, conjugué à une augmentation des tâches, va aboutir à un effet de ciseau pour les élus, qui risquent d’être rapidement débordés. Enfin, nous constatons une très grande hétérogénéité des configurations de structuration du dialogue social, fruit des négociations.
C’est un tournant pour les acteurs sociaux. Ils vont devoir préserver la culture du dialogue lorsque celle-ci était satisfaisante à leurs yeux, mais aussi prendre d’autres marques, établir de nouveaux modes de relations et chercher un modus opérationnel permettant d’assurer une représentation efficace des salariés. De quelle manière les questions de santé, de sécurité et de conditions de travail vont remonter et être traitées dans les réunions de CSE ? Voilà qui doit être au centre des préoccupations. Dans les entreprises qui en seront dotées, les liens entre la commission dédiée à ces sujets1 et le CSE, de même que le rôle respectif de chacun, notamment concernant le travail de terrain, seront déterminants dans l’efficacité de la prise en compte de la santé. Dans ce cadre plus complexe et incertain, les organisations syndicales ont toutefois un certain nombre de cartes entre les mains pour peser sur la mise en oeuvre de la loi. Autrement dit, pour que l’on retrouve, dans des choix concrets, l’importance donnée à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail. Quels sont ces leviers ?

Un agenda social

La manière dont sont composées les listes des candidats au CSE constitue un premier élément de décision. Quelles compétences sont mises en avant ? Tous les représentants du personnel ne sont pas prêts à assumer les multiples casquettes que doivent porter les nouveaux membres du CSE ; certains démissionnent déjà devant l’ampleur de la tâche. Il est possible par ailleurs que les anciens élus CHSCT, qui montraient une appétence pour les questions qui y étaient abordées ainsi que pour un mode de fonctionnement plus proche du terrain, ne se déclarent pas intéressés. Or leur implication est essentielle. Ensuite, comment une instance centrale unique va-t-elle parvenir à maintenir une proximité avec les salariés et garder la main sur les sujets à traiter, sans zapper de l’un à l’autre ? Le plan de travail annuel du CSE devient dès lors un outil de pilotage stratégique, sur lequel élus et organisations syndicales ont intérêt à s’accorder. A cet « agenda social » de définir les priorités à partir du bilan annuel de l’entreprise, des constats de la médecine du travail, des situations à risque identifiées par les élus, des plaintes ou propositions portées par des salariés. Ces axes de travail prioritaires peuvent servir de fil rouge dans la communication du CSE et être proposés comme sujets de négociation avec l’employeur.
Le plan de travail est un support qui témoigne d’une volonté de remédier à l’éloignement du terrain dans la place qu’il donne aux dispositifs permettant le lien avec les salariés : contenu des visites d’inspection, planification de l’analyse des risques pour alimenter le document unique, organisation des enquêtes après accident du travail en coordination avec les acteurs de la prévention, analyse des conditions de travail avec les personnes concernées, etc.
Cela suppose cependant de trouver les moyens de s’occuper des problèmes du quotidien, ceux qui étaient auparavant traités par les DP ou les élus CHSCT, parfois sans attendre une réunion officielle, tels que la situation spécifique d’un salarié, une difficulté dans l’application d’un accord, des aménagements dans l’organisation du travail d’une unité, ou encore le respect d’une disposition conventionnelle. Les représentants de proximité, dont le nombre, le rôle et les moyens sont déterminés par la négociation locale, apporteront sans doute une réponse partielle pour éviter l’asphyxie du CSE.

Veiller au respect des prérogatives

La formation des élus représente également une préoccupation cruciale. Celle de trois ou cinq jours à la santé, sécurité et conditions de travail concerne bien tous les membres du CSE. Elle relève d’un droit individuel qui sera activé… ou pas. Les secrétaires de CSE devront y être attentifs. De plus, ce minimum légal est bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour que les élus puissent embrasser des sujets aussi variés que les ambiances physiques de travail, la sécurité, les principes de conception de postes, les troubles musculo-squelettiques, les risques psychosociaux, etc. Une piste peut être envisagée : construire un plan de formation sur la durée du mandat, permettant une montée en compétences de l’ensemble des représentants du personnel. Ce qui se traduit par des choix budgétaires pour le CSE et une négociation avec l’employeur. Un autre point nécessite l’attention, celui de la répartition des missions entre CSE et CSSCT. Parce que le CSE risque de ne pas faire face à toutes les exigences, il sera tentant de céder à la facilité en transférant à la commission certaines de ses tâches essentielles, comme le droit d’alerte en cas de danger grave et imminent ou la consultation en cas de projet important. Or celle-ci n’agit que par délégation et n’a aucun pouvoir propre ; les réunions de CSE seraient alors privées d’un débat capital pour éclairer les choix de l’entreprise et agir sur l’organisation du travail.
Si la baisse des moyens rend incontestablement le travail des élus difficile, il devient prioritaire de bien utiliser ceux dont on dispose. Dans cette perspective, toute réorganisation ou tout projet s’avère être un moment test. Lors des consultations, l’avis formulé doit couvrir aussi bien les aspects économiques que ceux en lien avec les conditions de travail. Mais pour ce faire, il n’est pas possible de se passer de ce que les salariés ont à dire de leur travail et de leurs difficultés. Pour l’exprimer de manière un peu abrupte, l’avis des représentants du personnel lors d’une consultation se construit autant avec les personnes concernées que dans le local syndical. Même si l’esprit des nouvelles règles n’est manifestement pas celui-ci.
Au bout du compte, nous verrons si, dans cette nouvelle configuration, les représentants du personnel peuvent se poser en réelle ligne de défense par rapport aux risques professionnels et être des acteurs reconnus de l’amélioration des conditions de travail. Ils ont besoin, encore plus qu’hier, de s’appuyer sur les représentants institutionnels : l’Inspection du travail, les contrôleurs de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), ceux de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) ou les conseillers de la Mutualité sociale agricole (MSA), les médecins du travail, les ergonomes des services de santé au travail. Leur présence à des réunions de CSE est un enjeu qui nécessite une bonne organisation et un respect des ordres du jour. Dans ce contexte de changement des relations sociales, les délégués syndicaux et le secrétaire du CSE endossent une grande responsabilité par les accords que les premiers signent et le rôle que joue le second dans la bonne marche de l’instance. Rien ne sera facile. Aux syndicats de montrer que la santé au travail est une priorité. « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté », disait le philosophe Alain. 

  • 1Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).