© Léa Taillefert-Rolland

Le CSE doit s'emparer de la prévention

par Nathalie Quéruel / janvier 2020

C’est le big-bang introduit par les ordonnances travail. Le comité social et économique (CSE) enterre les anciennes instances  représentatives du personnel dans les entreprises de plus de dix salariés. Exit donc le CHSCT, qui avait montré sa capacité à peser sur l’amélioration des conditions de travail. Le CSE hérite de ses prérogatives. Qu’en fera-t-il pour préserver la santé des travailleurs ? C’est la question. La façon dont il a été mis en place ne prête pas forcément à l’optimisme. La négociation s’est résumée à une passe d’armes entre directions cherchant à rationaliser et syndicats tentant d’enrayer la baisse des moyens… quand cela n’a pas été une décision unilatérale de l’employeur !
Moins nombreux, avec moins d’heures de délégation, les représentants du personnel se retrouvent à bord d’une instance unique, hypercentralisée, qui les éloigne du terrain et dont le fonctionnement risque à tout moment l’embolisation. Malgré tout, et c’est ce que démontre ce dossier, des voies existent afin de hisser la santé au travail au même rang que les préoccupations économiques. Beaucoup reste à inventer pour demeurer en prise avec le réel vécu par les salariés, de la mission des représentants de proximité à la coopération avec les commissions santé, sécurité et conditions de travail. Sans compter que tous les élus ont droit à une formation ad hoc. Mettre la prévention primaire à l’agenda social du CSE, c’est possible.
 

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« Le risque de s’enfermer dans des débats théoriques est réel »

entretien avec Marcel Grignard
par Elsa Fayner / janvier 2020

Marcel Grignard, ex-secrétaire national de la CFDT, copréside le comité d’évaluation des ordonnances travail. Il dresse un premier bilan de la mise en place des CSE.

Quels étaient les objectifs des ordonnances travail ?
Marcel Grignard :
Avec le CSE et l’élargissement du champ de la négociation au niveau de l’entreprise, il s’agit de donner plus de poids aux acteurs au plus près des problèmes, là où ils se posent. C’est ce que je comprends du discours politique qui accompagne ces ordonnances. Le vrai enjeu est de savoir comment ces textes amènent à changer les pratiques. Ce n’est pas une affaire de réglementation. C’est un changement de culture, qui dépend des acteurs et, dans certains cas, de l’accompagnement proposé. Dans un premier temps, le comité d’évaluation a observé comment les ordonnances étaient comprises dans les entreprises et dans les branches. Puis il a regardé comment les CSE se construisaient.

Quels constats faites-vous sur l’installation des CSE jusqu’à présent ?
M.G. :
En septembre 2019, près de 40 000 CSE étaient en place. Nous avons noté des situations de carence dues à l’absence de candidats, en particulier dans les petites entreprises. En octobre et novembre, à l’approche de l’échéance du 1er janvier, le rythme de création s’est accéléré. Nous avons également étudié la manière dont les CSE ont été déployés. Nous ne disposons pas encore de chiffres précis, mais il semble que cette mise en place s’est largement faite par décision unilatérale de l’employeur. Et lorsqu’il y a eu négociation, celle-ci n’a pas souvent été innovante, les employeurs y voyant l’occasion de rationaliser, tandis que les représentants des salariés tentaient de limiter la baisse des moyens. Il s’est souvent agi de construire en retrouvant les repères d’avant. Rares sont les partenaires sociaux qui ont eu une approche prospective.

Quelles questions essentielles restent à suivre en matière de santé au travail ?
M.G. :
Pour le CSE, l’enjeu est de reprendre les prérogatives du CHSCT, non pas pour reproduire ce qui se faisait, mais pour réarticuler la santé au travail avec la stratégie de l’entreprise. Alors que l’instance unique se retrouve avec un nombre important de missions à remplir, il lui faut être capable de décrypter les enjeux de chacune et de hiérarchiser. Un autre point de vigilance concerne les relations entre le CSE et le terrain, avec l’appui de la commission santé, sécurité et conditions de travail et des représentants de proximité, quand ils existent. Le comité doit savoir déléguer, faire confiance aux représentants des diverses commissions sans pour autant se déresponsabiliser. L’équilibre n’est pas évident à trouver, mais le risque de se déconnecter du vécu des salariés et de s’enfermer dans des débats théoriques est bien réel.