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Services à la personne : sortir de la précarité

par Stéphane Vincent / avril 2021

Quoi de commun entre une baby-sitter, un bricoleur venu monter un meuble à domicile et une auxiliaire de vie assistant une personne âgée dépendante ? Ces métiers ont été regroupés au sein d’un même secteur, celui des services à la personne. Une construction politique qui cache mal l’hétérogénéité des activités concernées. Car si toutes s’exercent au domicile de particuliers, elles ne répondent pas aux mêmes besoins ni aux mêmes enjeux. L’aide à domicile par exemple doit faire face au vieillissement de la population et assurer le maintien de l’autonomie des plus fragiles. Les pouvoirs publics ne s’y trompent pas puisqu’ils financent en grande partie cette activité. Cela permet de déclarer les emplois et d’accorder des droits aux salariés, sujet sur lequel la France se distingue de ses voisins européens. Seulement voilà, cette reconnaissance demeure largement insuffisante. C’est le cas pour le financement public de l’aide à domicile, qui contraint les conditions de travail des personnels à un niveau difficilement compatible avec leur santé. La diversité des statuts d’emploi dans ce secteur n’est qu’une déclinaison de précarités plus ou moins importantes, qui nuisent aux conditions de vie des salariés et à la prévention des nombreux risques auxquels ils sont exposés. Ce n’est donc pas étonnant que ces métiers cumulent accidents du travail, maladies professionnelles et inaptitudes. Il est temps de changer la donne. Certains s’y emploient, comme le démontre ce dossier.

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Un secteur d’activité qui cumule les risques

par Henri Bastos, toxicologue / avril 2021

Les métiers des services à la personne, occupés principalement par des femmes, se distinguent par un nombre important d’accidents de travail et de maladies professionnelles. Le résultat d’expositions multiples à des nuisances physiques et psychiques.

Les professionnelles des services à la personne, où plus de 80 % des salariés sont des femmes, sont exposées à plusieurs risques pour leur santé. Cette pluralité tient en grande partie à la variété des activités présentes dans ce secteur, qui vont du soutien scolaire à l’aide aux personnes âgées ou dépendantes, en passant par le ménage, le jardinage ou le bricolage. Toutes ces activités ont également une particularité en commun, celle de s’effectuer au domicile de particuliers, ce qui rajoute de la diversité en termes d’environnements de travail et de contraintes : habitat exigu, logement encombré, présence d’animaux, etc.

Manutentions dangereuses, chutes…

Les services à la personne se distinguent, peut-être pour cette raison, par une forte sinistralité en termes d’accidents de travail (AT) et de maladies professionnelles (MP). Si la fréquence des AT recule globalement depuis près de soixante-dix ans, certains secteurs d’activité restent au-dessus de la moyenne, comme le BTP, l’intérim… et les services à la personne. Ceux-ci affichent un indice de fréquence de près de 100 accidents pour 1 000 salariés, un taux presque trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Et qui n’a cessé de croître ces dernières années.
La synthèse des statistiques disponibles sur le site de l’Assurance maladie-Risques professionnels pour le secteur de l’aide à domicile nous indique que les trois principaux motifs d’accident du travail sont la manutention manuelle (plus de 50 % des AT), suivie des chutes de plain-pied et de celles de hauteur (pour près de 20 % des AT chacune). Des accidents qui peuvent être liés, par exemple, au manque d’autonomie des bénéficiaires, qu’il faut soulever pour la toilette, ou à des obstacles au sol entraînant des chutes, favorisées par un travail effectué dans la précipitation, ou encore à l’absence de matériel adapté : escabeaux, marchepieds… Il ne faut pas oublier non plus les accidents de la route, en augmentation dans ce secteur, favorisés par de fréquents déplacements entre les domiciles des bénéficiaires.
En matière de santé, les salariées des services à la personne ne sont pas plus gâtées. Selon une étude publiée en 2018 de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail, elles sont nombreuses à déclarer être en mauvaise santé (6 %) ou à avoir des problèmes de santé durables (28,6 %). Ces signalements sont davantage exprimés par ces travailleuses que par les autres salariés (pour seulement 3 % et 19,9 % d’entre eux).
Concernant les maladies professionnelles, elles sont particulièrement concernées par les troubles musculosquelettiques (TMS), notamment par les affections périarticulaires associées à des gestes répétitifs ou à des postures contraignantes. Des atteintes que l’on peut relier à des tâches comme le balayage, le repassage, ou à des positions à genoux, accroupie, les bras maintenus en l’air… Loin derrière viennent les lombalgies liées au port de charges lourdes (courses, levers et couchers des bénéficiaires…). Ces pathologies peuvent être aussi être favorisées par des contraintes organisationnelles, comme le manque de temps. C’est un secteur qui n’est de plus pas épargné par les risques psychosociaux, dus à la confrontation régulière à la détresse physique et psychique des bénéficiaires, voire à leur décès, ou à des contextes sociaux et familiaux difficiles. Des situations d’autant plus dures à supporter et à gérer que les salariées sont isolées.

Des expositions chimiques nocives sur le long terme

Toutes ces contraintes, à l’origine de l’importante sinistralité observée, peuvent cependant masquer d’autres types de risques, moins directement perceptibles, parfois à l’origine de pathologies chroniques graves. C’est le cas, par exemple, des risques chimiques. Les données de la dernière enquête Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer), datée de 2017, montrent que les aides à domicile et aides ménagères sont deux fois plus exposées à un ou plusieurs agents chimiques que l’ensemble des salariés des autres familles professionnelles (69,1 % contre 32,3 %).
Parmi les agents chimiques les plus souvent rencontrés, sont cités l’eau de Javel (51,9 %), les ammoniums quaternaires utilisés en particulier dans les produits désinfectants (23 %), les agents tensioactifs présents par exemple dans les produits détergents (20,9 %) ou des solvants comme l’alcool (13,9 %). Or l’utilisation régulière de certains produits ménagers pourrait être nocive à long terme pour la santé. C’est le sens des conclusions d’une étude publiée en 2018 dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, menée par des chercheurs de l’université de Bergen, en Norvège. Ils ont suivi 6 000 personnes pendant près de vingt ans et ont constaté que les femmes qui travaillaient dans les services de nettoyage ou qui utilisaient régulièrement des produits d’entretien chez elles avaient une fonction pulmonaire semblable à celle de femmes fumant l’équivalent de 20 cigarettes par jour sur dix à vingt ans. Dans certaines activités, comme le jardinage ou le bricolage, on retrouve d’autres types de produits chimiques, qui peuvent également être dangereux.
Enfin, la crise du Covid-19 a mis en évidence l’exposition au risque infectieux des professionnelles intervenant au domicile de particuliers, par contact avec des personnes malades, du linge ou des objets contaminés. Là encore, l’enquête Sumer 2017 nous confirme que les aides à domicile et aides ménagères font partie des métiers les plus exposés à un ou plusieurs agents biologiques (79,4 % le sont contre 24,9 % pour l’ensemble des salariés). Leur secteur a d’ailleurs connu la plus forte hausse de ces expositions au risque biologique par rapport à 2003 (+ 21 points). Une augmentation qui s’expliquerait en partie par un meilleur repérage des risques biologiques par les professionnels de santé, mais aussi par la professionnalisation des métiers des services à la personne qui contribue à sensibiliser les salariées à ces risques.