© Fanny Monier

Pour un renouveau de la santé au travail

par Stéphane Vincent / octobre 2021

Trente ans après la création de Santé & Travail, quel bilan peut-on faire de la prévention des risques professionnels ? Pour quelles perspectives ? Voilà en résumé le point de départ de ce dossier spécial. Avec un premier constat : si ces dernières décennies ont vu les connaissances s’accumuler sur les facteurs de risque liés au travail, tant psychiques que physiques, la prévention patine. Les troubles musculosquelettiques et les risques psychosociaux font désormais partie du paysage, sans qu’il semble possible d’en venir à bout. Le risque chimique est mieux pris en charge mais de nombreuses zones d’ombre demeurent. Il faut dire que l’accélération des changements dans les entreprises et institutions handicape sérieusement la prévention, qui s’inscrit sur le temps long. Il existe néanmoins des pistes pour faire mieux et autrement. Elles impliquent une réflexion plus globale sur le fonctionnement des organisations, les critères de performance, les interactions entre l’activité de travail, l’environnement, le vieillissement de la population active… Une démarche qui peut sembler théorique, complexe, mais qui pour réussir doit s’ancrer sur le terrain, sur les aspects concrets du travail réel. Comme en attestent les exemples dans les pages qui suivent : des actions en apparence limitées peuvent avoir des effets positifs plus durables que de grands chantiers. Une approche renouvelée de la prévention, modeste et ambitieuse à la fois.

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Nul n’est censé ignorer la loi de 1991

par Franck Héas professeur de droit privé à l’université de Nantes / octobre 2021

Les principes généraux posés par la loi du 31 décembre 1991 sur la prévention des risques professionnels constituent à la fois des repères pour l’action mais aussi pour la mise en œuvre de l’obligation de sécurité de l’employeur. Démonstration.

Dans le sillage de la directive-cadre européenne du 12 juin 1989, la loi du 31 décembre 1991 sur la prévention des risques professionnels est venue poser les bases de ce qui constitue encore aujourd’hui les fondamentaux du droit positif de la santé au travail. Tout d’abord, l’employeur doit être considéré en la matière comme l’acteur premier et principal. Ensuite, les principes généraux énoncés par la loi doivent gouverner toute démarche préventive. Enfin, en vertu du principe dit de participation équilibrée, les travailleurs contribuent directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants à la protection de leur santé et de leur sécurité. Tout était déjà dans la loi il y a trente ans !
Ces règles sont inscrites au début de la quatrième partie du Code du travail relative à la santé au travail : c’est dire leur importance tant sur le plan symbolique que juridique. Elles constituent l’assise et le point d’appui des articles L. 4121-1 à L. 4121- 3, qui cadrent aujourd’hui l’objectif et le mode opératoire de toute action de prévention. Ces derniers rappellent entre autres l’exigence « d’une organisation et de moyens adaptés », imposent de « tenir compte du changement » et de « tendre à l’amélioration des situations existantes ». Ils précisent que l’évaluation des risques doit tenir compte du fait que ces derniers affectent différemment les sexes. Elle doit aussi intégrer les spécificités de l’entreprise et impliquer « tous les niveaux de l’encadrement ».
Les neuf principes généraux de prévention, notamment ceux d’évaluation et d’évitement des risques, de substitution de ce qui est dangereux par ce qui l’est moins ou pas ou encore de planification de la prévention, doivent être considérés comme des directives ou orientations destinées à guider l’approche de l’employeur en la matière. Ces exigences légales forment un tout cohérent, ce qui en fait l’intérêt et la valeur opératoire, quelles que soient les circonstances et les époques. De ce point de vue, le principe d’adaptation du travail à l’homme (et non pas l’inverse) est particulièrement important et formule le mieux l’obligation d’une action dynamique, renouvelée et constante en matière de prévention.

La mise en œuvre de mesures concrètes

C’est dans ce cadre qu’il est possible de considérer que l’obligation patronale de sécurité se fonde nécessairement sur une logique préventive. L’exigence d’anticipation et de prévention a toujours été au cœur de cette obligation : l’employeur y manque chaque fois qu’il n’agit pas suffisamment pour protéger la santé du personnel au sein de l’entreprise. De ce point de vue, la sécurité c’est d’abord la mise en œuvre de mesures concrètes, opérationnelles et organisationnelles de prévention, devant permettre d’éviter la réalisation des risques professionnels. Pour le dire différemment, l’employeur ne manque pas à son obligation de sécurité s’il a anticipé la réalisation des risques et qu’il a mis en place les actions et moyens matériels adaptés pour les éviter. Il doit donc être assez prévoyant : une telle exigence, une telle logique, une telle philosophie résultaient déjà de la loi de 1991.