Les partenaires sociaux au diapason sur la prévention
Une meilleure reconnaissance des pathologies du travail, davantage de moyens financiers et humains pour la prévention… L’accord du 15 mai 2023, qui remodèle la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la Sécu, ouvre des pistes intéressantes. Au gouvernement de les concrétiser rapidement.
C’est presque le grand chelem pour l’accord national interprofessionnel (ANI) portant sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale, qui n’avait pas fait l’objet de négociations entre syndicats et patronat depuis plus de quinze ans. Après dix mois de discussions (voir cet article de Santé & Travail), ce texte est présenté comme un consensus social pour « une prévention ambitieuse, une réparation améliorée et une gouvernance paritaire renforcée ».
Au 31 mai, il a été signé par les trois organisations patronales et les confédérations syndicales CFDT, CFTC et CGT. Ces paraphes n’étaient pas gagnés d’avance, car c’est le Medef qui avait pris l’initiative de cette concertation sur la branche, en particulier sur sa gouvernance. « Nous nous dirigeons vers un texte signé par les huit organisations patronales et syndicales. Dans le contexte actuel, je vois mal comment le gouvernement pourrait botter en touche et ne pas transposer cet accord », souligne Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT en charge de la santé au travail. Si la CFE-CGC rendra sa décision fin juin, sa déléguée Mireille Dispot indique qu’elle est favorable à la signature.
Des ingénieurs-conseils en renfort
La CGT reste toutefois prudente quant à la mise en œuvre des préconisations, plusieurs points essentiels nécessitant des dispositions réglementaires et législatives. « Nous avons validé cet accord car il ne comporte pas de mesures de régression pour les salariés. Mais nous n’avons pas pour autant signé un traité de paix, il s’agit d’un point d’étape pour aller plus loin », ajoute Jérôme Vivenza pour la CGT.
Cet ANI du 15 mai 2023, qui fait suite à un « diagnostic partagé » sur lequel tous les partenaires sociaux s’étaient mis d’accord le 1er décembre dernier, formule des propositions concrètes pour améliorer la prévention primaire, en particulier une enveloppe de 100 millions d’euros supplémentaires chaque année. « Ce budget pour la prévention est un élément déterminant pour notre signature », signale Pierre-Yves Montéléon pour la CFTC.
Le document préconise aussi d’augmenter de 20 % les effectifs d’ingénieurs-conseils et de contrôleurs des caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat), chargés d’accompagner les entreprises sur la prévention des risques professionnels. « Si l’accord est mis en œuvre, ce sont 166 ingénieurs Carsat de plus qui seront embauchés », précise Jérôme Vivenza. Autre enjeu important pour les syndicats, l’accord prévoit une « évaluation quantitative et qualitative » des subventions accordées aux entreprises au titre des actions de prévention. En somme, un moyen d’exercer un contrôle par la branche sur ces aides, notamment les « ristournes » sur les cotisations AT-MP des entreprises.
Un taux d’incapacité abaissé à 20 %
Sur le volet réparation, le texte plaide pour une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles hors tableaux. Les partenaires sociaux demandent le passage de 25 % à 20 % du taux d’incapacité permanente partielle (IPP), le seuil requis pour la reconnaissance de l’origine professionnelle. Le taux de 25 % est aujourd’hui difficilement atteignable, s’agissant par exemple des maladies psychiques causées par le travail. « Cet abaissement n’est pas négligeable même si nous aurions souhaité qu’il n’y ait plus du tout de taux d’IPP », commente Pierre-Yves Montéléon. Ceci constitue un premier pas, un bilan de cette mesure devant être réalisé avant d’envisager une réduction plus conséquente du taux ultérieurement.
Pour diminuer la sous-reconnaissance des maladies professionnelles (lire cet article de Santé & Travail), il est par ailleurs prévu d’adapter les tableaux existants, « voire d’en créer de nouveaux en lien avec l’évolution des risques professionnels ». « C’est la première fois qu’apparaissent dans un accord les enjeux de sous-déclaration et de sous-reconnaissance des AT-MP », pointe le représentant de la CGT. Catherine Pinchaut note d’autres améliorations de la réparation pour les victimes d’AT-MP, comme l’abaissement du taux d’accès à la prestation complémentaire pour tierce personne.
Pilotage paritaire en vue
Enfin, l’accord souhaite « rénover la gouvernance » de la branche. Il est précisé qu’elle sera gérée par un conseil d’administration paritaire, en lieu et place de l’actuelle commission des accidents du travail-maladies professionnelles (CAT-MP). Une disposition loin d’être « cosmétique » d’après la CFTC, puisqu’elle redonne des marges de manœuvre aux organisations syndicales. « Cela va permettre aux partenaires sociaux de piloter la prévention et la réparation, et ce sur la base des données et indicateurs que nous demandons », renchérit Catherine Pinchaut. Même satisfaction du côté de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), qui voit dans cet accord la possibilité de « reprendre le contrôle de la gestion de la branche AT-MP, entièrement financée par les cotisations patronales ».
La CGT, qui espère que cette nouvelle organisation pourra mettre un frein à « l’ingérence de l’Etat », déplore néanmoins que la présidence du conseil d’administration revienne au patronat. « Nous allons continuer à batailler pour une présidence alternée », prévient Jérôme Vivenza. Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), créé par la réforme des retraites1
, sera également piloté par les partenaires sociaux. « Nous souhaitons aller plus loin en matière de dialogue social sur la prévention de l’usure professionnelle et le travail des seniors », ajoute Catherine Pinchaut. Le périmètre de l’accord, dont la transposition effective fera sans doute l’objet de prochains arbitrages, est loin de régler ces questions. Avec le recul de l’âge de départ à la retraite, le nombre de personnes écartées de l’emploi car trop usées par la pénibilité du travail risque de se multiplier. Une catastrophe sociale annoncée que les syndicats souhaitent, dans la mesure du possible, prévenir.
- 1Il n’est pas nommément cité dans l’accord, à la demande des organisations syndicales de salariés toujours remontées contre la réforme des retraites.
« Branche AT-MP : Un consensus social réaffirmé par une prévention ambitieuse, une réparation améliorée et une gouvernance paritaire renforcée ».
Accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 : ANI Branche AT-MP du 15052023 VDEF_0.pdf