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Services à la personne : sortir de la précarité

par Stéphane Vincent / avril 2021

Quoi de commun entre une baby-sitter, un bricoleur venu monter un meuble à domicile et une auxiliaire de vie assistant une personne âgée dépendante ? Ces métiers ont été regroupés au sein d’un même secteur, celui des services à la personne. Une construction politique qui cache mal l’hétérogénéité des activités concernées. Car si toutes s’exercent au domicile de particuliers, elles ne répondent pas aux mêmes besoins ni aux mêmes enjeux. L’aide à domicile par exemple doit faire face au vieillissement de la population et assurer le maintien de l’autonomie des plus fragiles. Les pouvoirs publics ne s’y trompent pas puisqu’ils financent en grande partie cette activité. Cela permet de déclarer les emplois et d’accorder des droits aux salariés, sujet sur lequel la France se distingue de ses voisins européens. Seulement voilà, cette reconnaissance demeure largement insuffisante. C’est le cas pour le financement public de l’aide à domicile, qui contraint les conditions de travail des personnels à un niveau difficilement compatible avec leur santé. La diversité des statuts d’emploi dans ce secteur n’est qu’une déclinaison de précarités plus ou moins importantes, qui nuisent aux conditions de vie des salariés et à la prévention des nombreux risques auxquels ils sont exposés. Ce n’est donc pas étonnant que ces métiers cumulent accidents du travail, maladies professionnelles et inaptitudes. Il est temps de changer la donne. Certains s’y emploient, comme le démontre ce dossier.

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La pénibilité du travail, un enjeu pour le Réseau APA

par Catherine Abou El Khair / avril 2021

Regroupement d’associations d’aide à domicile de l’Est de la France, le Réseau APA mise sur la formation, de meilleurs équipements et plus d’autonomie pour alléger les contraintes des salariées. Un objectif pas toujours simple à atteindre.

Accidents lors de la manutention des personnes âgées, chutes, accidents de trajet… Ce sont les principaux risques auxquels sont confrontées les professionnelles du Réseau APA, un important acteur de l’aide à domicile, comptant 5 400 salariés dans plusieurs départements de l’Est de la France. Des risques liés aux conditions de travail difficiles des auxiliaires de vie et aides à domicile, qui expliquent peut-être les difficultés de recrutement, le turn-over et l’absentéisme rencontrés dans ce secteur d’activité. « Si l’on veut garder nos compétences, il faut que l’on prenne soin de ce sujet », témoigne Patrick Puledda, directeur du capital humain au sein du Réseau APA.
C’est aussi un enjeu économique. Il y a quelques années, la situation s’est aggravée dans le Haut-Rhin. « Nos taux de cotisation AT/MP ont augmenté, avec une incidence financière sur le budget de notre service d’aide à domicile », signale le responsable. Afin de réduire les risques professionnels, le Réseau APA mise d’abord sur la formation aux gestes et postures, internalisée à travers la création d’une école, l’Apacadémie, qui dispense quelque 1 200 actions par an. « On sensibilise sur les tâches qui peuvent être refusées et on forme à la prise en main d’outils aidant au transfert des personnes », précise Patrick Puledda. Une démarche qui va de pair avec l’amélioration des équipements, autre axe investi par le Réseau. Non sans difficultés.

Une organisation du travail adaptée
pour dégager des marges de manœuvre

« On a tardé à généraliser les draps de glisse, qui apportent une réelle plus-value », regrette le directeur du capital humain. Le déploiement de ce dispositif, qui facilite la manipulation de personnes alitées, dépend en effet du bon vouloir des bénéficiaires et de leurs familles et doit être financé par eux. C’est le problème rencontré par une association membre du réseau, Domicile 90. « L’accord pénibilité prévoit une distribution de ces draps mais à condition d’obtenir les financements. Ce serait une grande avancée », juge Isabelle Perrez, élue au comité social et économique (CSE) de la structure.
Le Réseau APA envisage aussi de se doter d’exosquelettes. Responsable de l’innovation, Pierrick Landois a identifié une gaine de 2,5 kilogrammes qui, en se fixant au niveau du thorax, oppose une résistance quand le corps se penche en avant. L’accès à ce type d’équipement – qui viserait en priorité les « salariées ayant des problèmes de dos » – dépendra toutefois là aussi de financements extérieurs, compte tenu de leur prix : 6 000 euros l’unité.
Au-delà de l’action sur les gestes et postures, le Réseau adapte également son organisation du travail. Un impératif, face à la hausse des besoins des personnes âgées et aux contraintes imposées par les financeurs de l’aide à domicile. « Le stock d’heures d’aides a baissé et on doit partager ce temps entre les différentes prestations. Les temps d’intervention sont plus saccadés », constate Patricia Ellemaud, directrice du service d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) du Réseau APA dans le Haut-Rhin. Dans ce contexte, la mise en place d’équipes autonomes – expérimentée par 15 % des salariées – est censée dégager des marges de manœuvre. « Précédemment, les équipes étaient de 20 ou 25 intervenantes, sous la responsabilité d’un secteur. On a divisé ces équipes pour baisser le nombre de kilomètres effectués lors des déplacements, ce qui permet de rajouter des bénéficiaires dans les tournées », explique Patricia Ellemaud.

Des avis contrastés sur l’autonomie

Auxiliaire de vie à temps partiel, Nathalie Murb, 57 ans, approuve cette nouvelle organisation. « Avant, il fallait suivre le planning selon un certain ordre qu’on ne pouvait pas changer, avec des temps morts entre les interventions. Désormais, on définit nous-même notre ordre de route, on décide si on prend une intervention, on peut les échanger avec les collègues en cas d’obligations personnelles », déclare-t-elle. Elle apprécie les échanges avec ses quatre collègues lors des réunions de planning organisées tous les quinze jours. Autre bienfait : les liens avec les bénéficiaires – toujours les mêmes – sont plus réguliers.
Si le Réseau APA revendique « une baisse de l’absentéisme », une « plus grande réactivité aux accidents de plannings » et « davantage d’interventions », les représentantes du personnel se montrent plus réservées. La mise en œuvre des équipes autonomes se heurte, selon elles, au problème du sous-effectif. « Avec 4 ou 5 personnes maximum, les équipes sont trop petites. En cas d’absence, il n’y a pas assez de personnel. Cela ajoute du stress », relève Olivia Kopp, déléguée syndicale CGT et élue CSE à l’Apamad, association située dans le Haut-Rhin. Un problème reconnu par la direction qui revoit la taille des équipes à la hausse. « On constate des tensions dans certaines d’entre elles. Comme on râle sur les plannings, ils ont pensé qu’en nous les confiant cela se passerait mieux. Mais la gestion des plannings est un vrai métier », critique Christine Bigot, déléguée CFTC. Pour elle, le problème de la pénibilité du métier demeure : « Dix heures de travail par jour, comme le prévoit la convention collective, c’est trop. »
Toutefois, les avis sur l’expérimentation ne sont pas unanimes. « Il n’était pas toujours simple d’échanger avec nos responsables de secteur. Avant l’expérimentation, ils changeaient les plannings sans se demander si cela arrangeait toujours les bénéficiaires. En équipe autonome, on avait ce stress en moins », témoigne Sandra, autre élue CGT à l’Apamad. Elle a d’autant plus apprécié ce fonctionnement qu’il « nous permettait de discuter, d’être plus proches entre collègues ». Mais l’expérience a été interrompue pour son équipe, « car cela coûtait trop cher en temps de réunion ». Un problème qui illustre la difficulté à faire bouger les lignes dans l’aide à domicile. « Les résultats économiques restent à trouver. On a beaucoup de temps de coordination qui ne sont pas répercutés sur les clients », reconnaît Patrick Puledda.