
Risque canicule : un décret frileux sur la protection des travailleurs
Censé protéger les travailleurs en cas d’épisode de forte chaleur, le décret publié le 1er juin 2025 est jugé insuffisant par les syndicats.
Anticipant les effets du changement climatique sur les conditions de travail de milliers de salariés, le gouvernement a décidé d’instaurer de nouvelles mesures dans le Code du travail via un décret publié le 1er juin au Journal officiel. Ce texte, dont les dispositions entrent en vigueur au 1er juillet, avait été présenté fin février 2025 aux organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC) lors d’une réunion de la CS31 , l’une des commissions spécialisées du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct).
« Jusqu'à présent, les problèmes de canicule n'étaient pas pris en compte dans le Code du travail, ou très peu, commente Vincent Bonnier, délégué syndical chez FO siégeant à la CS3. Ce texte a le mérite de s’intéresser au sujet, mais il présente plusieurs inconvénients. C’est pourquoi nous avions voté défavorablement sur ce projet de décret, comme tous les autres syndicats. »
Des périodes de vigilance trop restreintes
Le plus problématique, pour les représentants syndicaux, c’est que seules les situations de vigilance « jaune » et « orange », selon la définition de Météo France, sont concernées par des mesures de protection particulières telles que l’adaptation des horaires de travail, l’augmentation de la fréquence ou de la durée des pauses, le report du travail physique, ou la mise à disposition de quantités d’eau suffisantes. Ces niveaux de vigilance sont précisés dans un arrêté publié dans le journal officiel du 1er juin 2025.
« Dans son propre bilan sur la gestion des vagues de chaleur en 2024, la DGT, la Direction générale du travail, constatait que, parmi les sept accidents du travail mortels et quatre accidents graves retenus, quatre accidents mortels et deux graves avaient eu lieu lors de périodes en vigilance verte », relève Gérald Le Corre, de la CGT, membre de la CS3.
« Une période de canicule est notamment définie, selon Météo France, par le fait que la température ne baisse pas la nuit. Mais c'est trop restrictif par rapport à l'inconfort qu'il peut y avoir en journée, ajoute Vincent Bonnier. Par ailleurs, on pourrait très bien connaître des périodes avec des températures nocturnes basses, mais des températures de journée épouvantables. La DGT ne nous a apporté aucune réponse sur ces différents sujets. »
L’imprécision des termes utilisés dans le décret est un autre problème soulevé par les syndicats. Il est par exemple écrit que les locaux doivent être maintenus à une température « convenable en toute saison » sans qu’aucune indication chiffrée ne soit donnée. Interrogée par les syndicats, la DGT a répondu que cette notion de « température convenable » renvoie au Code de l’énergie, qui fixe des dispositions relatives à la température dans les locaux de travail. Mais, consulté par la CGT, ce code ne précise finalement pas grand-chose et « n’interdit pas qu’il fasse 40°C dans les locaux de travail. Cela ne répond pas à la question de la température convenable », tranche Gérald le Corre.
Une absence de seuil limite
« Contrairement à ses voisins européens, la France n’a jamais défini de températures seuils, avait souligné la CFDT lors de la CS3 de fin février. La protection est ainsi meilleure dans les pays où il est obligatoire d’arrêter le travail à partir d’une certaine température par exemple. Face au réchauffement climatique, la France devrait s’inspirer de ces modèles pour ne pas laisser la protection des travailleurs dépendre de la libre interprétation des employeurs. » C’est précisément ce manque de définition qui a séduit le Medef, lequel a voté favorablement le projet de décret du gouvernement car « le texte objective les épisodes de chaleur sans utiliser de seuils limites ».
Les syndicats, pour leur part, auraient aimé que les agents de l’inspection du travail puissent procéder à des « arrêts d’activité » en cas de fortes chaleurs et en l’absence de mesures de protection. Mais la DGT a préféré opter pour une simple possibilité de mise en demeure, que les employeurs auront huit jours pour contester.
Un délai a priori peu compatible avec le tempo de la météo. « Le temps que ce soit instruit, on ne sera plus en période de forte chaleur », soupire Gérald le Corre. Ce refus d'ordonner un arrêt d’activité est d’autant plus dommage, font valoir les syndicats, que, mise en œuvre dans d’autres situations de travail à risque, la mesure est en général très efficace. Sans compter que les probabilités pour un employeur d’être touché par cette disposition sont minimes : « On a peu de moyens pour vérifier l'application de toutes les mesures prévues dans le Code du travail ou dans les documents uniques d'évaluation des risques », regrette Vincent Bonnier.
Après publication de ces deux textes réglementaires, d'autres questions restent en suspens : les pauses imposées par les épisodes de chaleur seront-elles rémunérées ? Les préconisations du médecin du travail s’imposeront-elles ? Que se passera-t-il si l’employeur est en désaccord avec celles-ci ? Quid des salariés maintenus en télétravail, dans des domiciles atteignant des températures tout aussi insoutenables qu’au bureau ? Et des ouvriers travaillant en usine, où il peut faire très chaud ? Contactée par Santé & Travail, la DGT n’a pas donné suite.
- 1La CS3 est compétente sur les questions relatives à la prévention des risques liés à la conception et à l’utilisation des lieux de travail, des équipements de travail, des EPI et des installations électriques.
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