
Santé et sécurité au travail : retour sur les annonces de l’été
Les annonces sociales les moins populaires ont souvent lieu dans la torpeur de l’été. Cette année encore, des projets de réformes touchant à l’indemnisation des arrêts maladie ou à la réparation des maladies professionnelles ont ainsi été évoqués en juillet et en août. Leur concrétisation reste soumise aux aléas du calendrier politique. Mais elles traduisent la volonté de faire porter une large part des efforts budgétaires sur les salariés.
24 juin 2025 : le conclave sur les retraites achoppe sur la pénibilité
Après quatre mois d’une concertation impulsée par le Premier ministre, le conclave sur les retraites s’est soldé par un échec, la partie patronale refusant toute concession sur le dossier de la pénibilité. Les trois derniers syndicats restés autour de la table de négociation (CFDT, CFE-CGC et CFTC) n’ont pas pu obtenir que les travailleurs exposés au port de charges lourdes, à des postures pénibles ou à des vibrations mécaniques puissent bénéficier d’un départ anticipé à la retraite. « Il s’agissait de réintroduire ces contraintes ergonomiques dans la liste des critères de pénibilité dont ils ont été retirés en 2017 », rappelle Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre d'études de l'emploi et du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CEET-Cnam).
Pour Catherine Delgoulet, titulaire de la chaire d’ergonomie au Cnam, « ce refus de parler de pénibilité traduit une vision édulcorée du travail. L’usure professionnelle liée aux postures pénibles, au port de charge et aux vibrations concerne plus d’un tiers des travailleurs. C’est un fait scientifiquement établi, dont on connait les conséquences sur leur santé et sur les comptes de l’assurance maladie. A 60 ans, plus de la moitié des actifs ne sont plus en emploi : je ne comprends pas comment on peut se satisfaire d’une telle situation. » Et envisager un nouveau recul de l’âge de départ à la retraite sans en tenir compte.
Juillet 2025 : les salariés appelés à payer le prix de l’absentéisme
Le mois de juillet a donné lieu à une offensive tous azimuts contre les arrêts de travail « pour mettre fin à une dérive », a déclaré le Premier ministre, François Bayrou, sous-entendant que tous les malades ne le seraient pas vraiment. Pour les remettre au travail et réduire les dépenses de l’assurance maladie, le gouvernement et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) ont donc proposé d’abaisser les plafonds d’indemnisation des arrêts courts, de prolonger le délai de carence en transférant aux employeurs la charge des arrêts jusqu’au septième jour, de limiter la durée de l’arrêt de travail initial à 15 jours en ville et un mois en sortie d’hôpital, ou encore de supprimer l’obligation de visite médicale de reprise du travail après un arrêt long… Le patronat (Medef et CPME) a saisi la balle au bond, suggérant pour sa part des « mesures énergiques » telles que la forfaitisation des indemnités journalières, qui pourraient donc être décorrélées du niveau de revenus du salarié.
Ces annonces ont ému les médecins, pour qui cette forme de culpabilisation évite de s'interroger sur les causes profondes de l’augmentation des arrêts de travail. « Les conditions de travail, notamment son intensification et le manque de marges de manœuvre, génèrent de la souffrance et peuvent être source de pathologies », pointe Serge Volkoff. « Le débat politique et médiatique se focalise sur l’emploi, sous le seul angle des chiffres, regrette-t-il. Ce faisant, il occulte la question du travail et des conditions dans lesquelles il est exercé. » Le débat sur la réforme des retraites en a été la plus parfaite illustration.
Juillet 2025 : des annonces en trompe-l’œil sur les accidents du travail graves et mortels
La France fait figure de mauvaise élève de l’Union européenne avec 3,3 décès au travail pour 100 000 salariés, c’est-à-dire le double de la moyenne européenne (1,76 mort pour 100 000 salariés). « Les Français voient cela comme une fatalité », regrette Michaël Prieux, inspecteur du travail. Nos voisins européens montrent pourtant qu’il existe des moyens d’agir.
C’est ce qu’a voulu faire la ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, en présentant le 11 juillet, à occasion d’un comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), une série de mesures « pour lutter avec volontarisme » contre les accidents du travail graves et mortels : interdiction temporaire de recruter des apprentis pour les entreprises condamnées pour faute inexcusable, limitation des niveaux de sous-traitance ou encore amélioration de la formation à la prévention des employeurs... Ces annonces ont eu lieu quelques jours après la mort de deux adolescents dans le cadre de leur stage d’observation, obligatoire en classe de seconde, rappelle-t-on.
La veille, la ministre en charge du Travail avait signé avec son homologue à la Justice, Gérald Darmanin, une instruction commune aux parquets visant à renforcer la politique pénale du travail en matière de répression des manquements aux obligations de santé et de sécurité. « L’intention est bonne, salue Michaël Prieux, mais elle est en décalage avec la réalité des moyens de la justice et de l’inspection du travail. Interdire les sous-traitances en cascade, par exemple, serait une excellente chose. Mais avec quels moyens de contrôle ? J’attendais des mesures plus incisives, et pas seulement un rappel de ce qui se fait déjà depuis des années. » Par exemple, « la systématisation des poursuites pénales en cas d’accident grave ou mortel, comme pour tous les crimes », précise-t-il, en constatant qu’aujourd’hui encore « les instructions s’éternisent et les morts au travail ne font clairement pas partie des priorités données au Parquet. »
Août 2025 : inquiétudes sur la réparation des maladies professionnelles
La réforme de la réparation des maladies professionnelles, prévue dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, suscite une vive inquiétude parmi les associations de victimes et les syndicats, qui se sont fendus, le 4 août, d’un communiqué commun appelant à ne pas toucher, « même à la marge », au dispositif existant.
Les signataires ont en effet eu connaissance du projet de directive envoyé par la Direction générale du travail (DGT) aux membres de la commission accidents du travail et maladies professionnelles de l’assurance maladie, la CAT/MP, visant à modifier l’alinéa 6 de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale : cet alinéa concerne les salariés atteints d’une pathologie inscrite dans un tableau de maladie professionnelle, mais ne remplissant pas toutes les conditions requises pour que leur pathologie soit automatiquement reconnue comme professionnelle. Si la maladie ne correspond pas précisément à la liste des travaux établie ou si la durée d’exposition des salariés ne correspond pas aux critères du tableau, le dossier doit être étudié par un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) constitué d'un médecin-conseil de la Sécurité sociale, d’un professeur de médecine du travail et d’un médecin inspecteur du travail.
« La réforme de l’alinéa 6 vise à remplacer ce comité par un collège de deux médecins-conseils dans des conditions qui ne sont pas encore très claires », rapporte François Desriaux, porte-parole de l’Andeva, convaincu qu’il s’agit là d’une façon de répondre à l’engorgement des CRRMP. « Mais si ces comités sont engorgés, c’est parce que certaines maladies professionnelles, dans le champ des risques psychosociaux notamment, ne font toujours pas l’objet d’un tableau. Avant de réformer ce dispositif, il aurait mieux valu actualiser les tableaux, comme le recommandait déjà l’Anses fin 2024. » En réalité, cette directive vise davantage « à réduire les dépenses de la branche AT-MP qu’à défendre les droits des victimes », estime François Desriaux. Le tout dans un contexte de « sous-reconnaissance des maladies professionnelles » que les signataires du communiqué du 4 août imputent aux « manœuvres des employeurs » et à « l’inertie de certaines instances ».
Maladies professionnelles : il est urgent de renouveler les tableaux, par Nolwenn Weiler, Santé & Travail,18 février 2025
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« Mesurer la pénibilité du travail pour permettre des départs anticipés », par Catherine Abou El Khair, Santé & Travail, 07 novembre 2024
Retraites et pénibilité : les syndicats en ordre de bataille, par Sabine Germain, Santé & Travail, 22 octobre 2024
La moitié des employeurs ne tirent pas les leçons des accidents du travail, par Catherine Abou El Khair, Santé & Travail,17 juin 2025
Accidents du travail mortels : une indifférence française, par Nolwenn Weiler, Santé & Travail, 22 mai 2025
Pour en savoir plus
Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : le rapport Charges et produits 2026 de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam)