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Santé au travail : les coupes claires de l’administration Trump

par Bérénice Soucail / 10 juin 2025

Depuis l’investiture de Donald Trump, le NIOSH, l’agence fédérale qui mène des recherches et formule des recommandations sur les risques professionnels, subit des licenciements massifs et des coupes budgétaires. Les conséquences sur la santé des travailleurs états-uniens s'annoncent profondes et durables.

Un budget famélique ! C’est ce que réserve Donald Trump au National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) en 2026. Dans le projet de loi budgétaire adopté le 22 mai 2025 par la Chambre des représentants, cette agence fédérale chargée d’évaluer et de prévenir les risques professionnels voit en effet ses prévisions de ressources amputées de 80%.

Quelques semaines auparavant, le vendredi 2 mai à 18h30, des centaines d'employés du NIOSH avaient reçu un mail de licenciement laconique. Zachary Robbins, chercheur en biologie, l'avait partagé sur LinkedIn : quatre lignes indiquaient que l’accès au bâtiment lui serait interdit dès le lundi suivant, et que son départ découlait d'une « réduction des effectifs » (« reduction in force »).

Depuis l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche le 20 janvier, en réalité, l’administration, épaulée par le Département d'efficacité gouvernementale (DOGE), s’est lancée dans une vaste entreprise de démantèlement du service public à coup de limogeages et de coupes budgétaires. Et les services de santé au travail ne sont pas épargnés.

Près de 900 personnes licenciées

Micah Niemeier-Walsh était hygiéniste industrielle au NIOSH, à Cincinnati. Elle est aujourd’hui sans emploi. Si elle s’attendait à des attaques, elle est surprise de constater « à quel point nous avons été touchés tôt et durement. » En deux vagues de licenciements depuis le début du mois de mai, 93% du personnel, soit près de 900 personnes, avaient été mis à la porte. 

Mais, le 13 mai, l’administration Trump a fait machine arrière. Environ 300 employés du NIOSH, dont le directeur général, ont appris qu'ils allaient être finalement réintégrés. Ce rétropédalage pourrait s’expliquer par l’audition, prévue deux jours plus tard, de Robert F. Kennedy Jr. devant la Chambre des représentants et le Sénat : un exercice durant lequel le secrétaire à la Santé et aux Services sociaux aurait dû se justifier sur ces licenciements.

« Black-out complet »

Le NIOSH n’en demeure pas moins menacé. Son activité est au ralenti depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. « Le 21 janvier, juste après l’investiture, on nous a dit qu'il y avait un black-out complet sur les communications, raconte Micah Niemeier-Walsh, également représentante syndicale. Nous n'étions pas autorisés à faire des présentations, à assister à des conférences, à participer à des groupes de travail scientifiques ou techniques. » Quelques semaines plus tard, les cartes de crédit des employés de l’agence ont été bloquées à 1 dollar, les privant du matériel nécessaire à leurs recherches.

Alors épaulés par l’AFL-CIO, le principal groupement syndical américain, employés et ex-employés se mobilisent pour sauver le NIOSH. Et pour cause : sa fermeture aurait des conséquences catastrophiques sur la santé des travailleuses et des travailleurs états-uniens.

D’importants programmes menacés

Le NIOSH évalue les risques professionnels, formule des mesures de prévention, et « conduit un grand nombre de programmes de recherche sur des sujets majeurs, comme certains clusters de cancers, ou sur le suivi médical des professionnels de santé ou des pompiers, explique Henri Bastos, directeur scientifique santé-travail de l’Anses. Ces licenciements fragilisent ces programmes. » En effet, depuis avril, les sites internet d’un certain nombre d’entre eux ont tiré le rideau, « en raison d’une réduction des effectifs du NIOSH », peut-on lire.

C’est pourquoi certains groupes professionnels directement concernés se sont engagés pour défendre l’agence. Les pompiers, pour qui elle travaille depuis 2018 à la construction d’un registre des cancers professionnels. Les mineurs, car elle mène des recherches sur la maladie du « poumon noir ». Mais aussi les fabricants d’équipements respiratoires, représentés par l’AMMA (Americain Medical Manufacturers Association) : le NIOSH est chargé de la vérification et de la certification de ces équipements (dont par exemple les masques chirurgicaux), utilisés par 5 millions de travailleurs américains.

Ces mobilisations ont payé : c'est dans ces unités qu’une partie des agents licenciés ont été réhabilités, et que des financements sont reconduits dans le projet de budget pour 2026.

« Instiller un peu d’approche collective »

Mais l’avenir du NIOSH demeure incertain. Car Donald Trump porte un projet politique à l’antipode de son activité. « Pourquoi s'en prendre à l'agence qui a pour mission de protéger les travailleurs contre les maladies et les accidents du travail ? À moins que votre objectif ne soit la déréglementation, la privatisation et le profit… », insinue Micah Niemeier-Walsh, qui relève que le NIOSH a été l’une des agences les plus touchées – juste après l’USAID, celle chargée de l’aide humanitaire.

D’ailleurs, en février, un représentant républicain a présenté à la Chambre un projet de loi visant à abolir la législation de 1970 sur la santé au travail, à l’origine de la création du NIOSH et de l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA), l’agence qui émet les réglementations sur la santé et la sécurité au travail d’après les préconisations du NIOSH.

Aux Etats-Unis, le NIOSH est l’une des rares entités à « instiller un petit peu d’approche collective » dans les relations de travail, « même s’il n’y a pas beaucoup de réglementation », observe Quentin Durand-Moreau, professeur adjoint en médecine du travail à l’Université de Montréal et membre du comité de rédaction de Santé & Travail.« Tant que le NIOSH ne se redressera pas, je crains qu’on soit dans une approche très individualisée de la prévention », déplore ce professionnel, qui s’attend à voir fleurir les injonctions du type « Prenez soin de vous ».

Répercussions internationales

Avec l’affaiblissement du NIOSH, les partenaires sociaux et acteurs de la société civile se trouveront privés d’une expertise fiable et indépendante pour négocier de meilleures conditions de travail.

Et ce, au-delà des frontières états-uniennes. Dans de nombreux pays où les services de santé au travail et de prévention des risques sont peu développés, le NIOSH sert de référence. L’ICOH l’organisation internationale de la médecine du travail, qui émet pourtant rarement ce genre de prise de position, a d’ailleurs publié un communiqué pour condamner les licenciements au sein de l’agence.

Quant aux fonctionnaires du NIOSH, ceux qui restent vont tenter tant bien que mal de poursuivre leur activité. Ceux qui n’ont pas été réhabilités cherchent du travail, affichant des bannières vertes sur leur profil LinkedIn. Mais, même si l’agence survit au mandat de Trump, la perte de compétence due aux licenciements massifs risque d’altérer durablement et profondément les services de santé au travail aux Etats-Unis. 

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