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Santé au travail : un front syndical quasi unanime

par Joëlle Maraschin / 28 janvier 2021

Les syndicats signataires de l’accord national interprofessionnel sur la santé au travail considèrent comme positive sa retranscription dans la proposition de loi déposée en décembre. La CGT dénonce les mêmes écueils dans les deux textes. Nouveau volet de notre série d’articles sur la réforme annoncée.

« La proposition de loi respecte tout à fait l’esprit de l’ANI », estime Serge Legagnoa, secrétaire confédéral en charge des questions de santé au travail pour FO. Le responsable syndical fait ici référence à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre sur la santé au travail, signé par la quasi-totalité des confédérations sauf la CGT. Et à la proposition de loi (PPL), censée en transcrire le contenu, déposée fin décembre par les députées LREM Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean. Un texte qui inquiète nombre de professionnels de la prévention, médecins du travail, infirmières de santé au travail et intervenants en prévention des risques professionnels.
La CFDT partage elle aussi ce constat d’un texte conforme à la négociation des partenaires sociaux. « Le texte va même plus loin que l’accord sur l’articulation santé publique et santé au travail », ajoute Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la confédération. Pour FO, la possibilité de créer des commissions santé, sécurité et conditions de travail au niveau des branches est un autre exemple de renforcement du dialogue social. De son côté, la CFTC, qui avait un temps hésité à signer l’ANI, regrette que la prévention primaire ne soit abordée dans la PPL qu’en terme d’équipements de protection individuels. « Cette proposition de loi n’est qu’un début, elle devrait être amendée au cours des travaux parlementaires », espère Pierre-Yves Montéléon, pour la centrale chrétienne.

Propositions d’aménagements

Le texte sera examiné par le Parlement à partir du 15 février. Auditionnées par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, les cinq confédérations représentatives entendent peser dans le débat, en proposant des aménagements. Malgré des désaccords sur le fond pour la CGT. Celle-ci souhaitait en effet rattacher les services de santé au travail (SST) à la Sécurité sociale, avec l’objectif de les affranchir de la « mainmise du patronat » et d’une logique de « sécurisation juridique » des employeurs. « L’accord et la PPL sont passés à côté de l’essentiel, ils n’apportent rien mais ouvrent la voie à des régressions importantes », se désole Jérôme Vivenza, responsable confédéral.
S’agissant de la gouvernance du système, la CFDT aurait souhaité une présidence tournante des SST entre représentants des salariés et des employeurs, gage pour elle d’un partage du pouvoir. « Un accord est le fruit d’un équilibre et de compromis, nous n’en avons pas fait un élément bloquant », explique Catherine Pinchaut. Pour leur part, FO et la CFTC tenaient à cette gouvernance patronale, reflet de la responsabilité des employeurs en matière de santé et sécurité. « La réforme permet cependant de renforcer le contrôle social sur le système », tient à souligner Serge Legagnoa. Les commissions de contrôle des SST, composées aux deux-tiers de représentants des salariés, disposeront d’un droit d’alerte, alors qu’elles n’étaient que consultatives. Reste à savoir si ce droit d’alerte permettra des recours efficaces en cas de dérives.

Un souhait d’homogénéité

« Les SST fonctionnent comme ils le souhaitent, certains ont même fermé au plus fort de la pandémie », déplore Anne-Michèle Chartier, en charge des questions de santé au travail pour la CFE-CGC. La réforme éliminerait ce « fonctionnement en électron libre », selon la syndicaliste, avec la mise en place de services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) et d’une certification, autre avancée mise en avant par les signataires de l’ANI. Cette certification sera conduite sur la base de « référentiels » élaborés par les partenaires sociaux, réunis au sein du futur Comité national de prévention et de santé au travail. Les SPSTI seront ainsi soumis à un double contrôle, agrément ministériel et certification. « Toutefois, il n’est pas prévu de sanction pour les services qui dérogeraient à ces procédures », regrette la représentante de la CFE-CGC.
Enfin, les partenaires sociaux définiront également « l’offre socle de services obligatoires » censés être fournis par les SPSTI à leurs adhérents. En vue d’éviter une prévention à deux vitesses. « Pour nous, toutes les actions de prévention devraient être incluses dans l’offre socle. Les prestations complémentaires seraient plus de l’ordre du confort pour l’entreprise », précise Pierre-Yves Montéléon. La CGT n’est pas du tout convaincue par ce concept de prestations obligatoires et craint que les SPSTI ne deviennent « des sortes de cabinets de consultants au service des entreprises qui les financent ».

Des craintes non partagées

L’instauration d’un « passeport prévention » inquiète aussi la CGT, qui y voit un risque de transfert des responsabilités de l’employeur vers les salariés. Ce passeport listera, pour chaque salarié, l’ensemble des formations suivies en matière de sécurité et de prévention. « C’est un plus pour la reconnaissance des compétences des salariés », estime Catherine Pinchaut. Pour Serge Legagnoa, cette formation fait partie des outils essentiels d’amélioration de la prévention primaire. Pour autant, les organisations syndicales redoutent des discriminations à l’embauche en lien avec ce document. « A charge pour nous de veiller à l’absence de dérives », rassure la représentante de la CFDT.
Concernant la prévention de la désinsertion professionnelle, autre axe important de la proposition de loi, FO plaide pour des actions de prévention collective obligatoires dans certaines situations, notamment pour les entreprises présentant un taux important de sinistralité ou d’inaptitude. La CGT déplore, elle, le non-renforcement de l’obligation de reclassement et demande une reprise en main par l’administration du système de contestation des inaptitudes.
Le recours à des médecins de ville formés en santé au travail pour assurer une partie du suivi médical professionnel, mesure critiquée par des médecins du travail et des généralistes, inquiète peu les confédérations signataires. « Il y a de grandes chances pour que cela ne fonctionne pas », considère d’ailleurs Pierre-Yves Montéléon. Idem sur l’accès des professionnels de santé au travail au dossier médical partagé, avec l’accord du salarié concerné. « Il ne serait pas cohérent de vouloir redonner du sens à la médecine du travail tout en la suspectant. Nous ne sommes pas inquiets, les médecins du travail respectent les règles de déontologie », poursuit Serge Legagnoa. En revanche, la conservation des versions successives des documents uniques d’évaluation des risques est considérée comme une avancée par les confédérations, en matière de traçabilité des expositions. La CGT estime pour sa part qu’un archivage externe dans le cadre d’un service public serait plus sûr.