© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Asthmes professionnels : la prévention manque encore de souffle

par Milène Leroy / avril 2008

Fréquent, l'asthme professionnel reste méconnu et sous-évalué. D'où un déficit de prévention, malgré les efforts en direction des métiers les plus exposés. Ces questions ont été au coeur des débats d'un colloque, fin janvier, à Bordeaux. Enquête.

L'asthme d'origine professionnelle est entièrement évitable. Pourtant, chaque année, entre 10 % et 15 % des asthmes qui se déclarent chez les adultes sont attribuables à des expositions dans le cadre du travail. Ce sont ainsi 1 250 à 5 000 travailleurs par an qui seraient restés en bonne santé s'ils n'avaient pas été exposés à des produits à risque, estime le Pr Jacques Ameille, responsable de l'unité de pathologie professionnelle à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches. L'asthme est la plus fréquente des affections respiratoires professionnelles.

 

Repère : qui est victime des asthmes professionnels ?

Parmi les métiers à risque, les boulangers et pâtissiers sont les plus touchés par l'asthme. Les peintres (et plus particulièrement les peintres au pistolet dans le secteur automobile), les coiffeurs, les professionnels de la santé, les travailleurs du bois et, plus récemment, les salariés du secteur du nettoyage sont également très concernés. Ces métiers cumulent, à eux seuls, la moitié des asthmes professionnels.

Le colloque " Asthme et société ", tenu à Bordeaux les 30 et 31 janvier dernier, a été l'occasion de faire le point sur les enjeux sanitaires, les facteurs de risque et la prévention de cette maladie inflammatoire des voies aériennes. La rencontre était organisée à l'initiative de la région Aquitaine, dans le cadre du Plan national santé-environnement, avec notamment l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), la direction régionale du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle (DRTEFP), la caisse régionale d'assurance maladie, l'union départementale de la Mutualité française de la Gironde et l'union régionale de la Mutualité française en Aquitaine.

Maladie très répandue dans la population générale, l'asthme a été déclaré priorité de santé publique en 2002. Pour le ministre de la Santé d'alors, Bernard Kouchner, l'asthme professionnel devait faire l'objet d'une " réelle politique de prévention, de prise en charge et de reconnaissance ". Quelques années plus tard, il est encore largement méconnu et sous-évalué. " Le nombre de déclarations de maladies professionnelles, de 200 à 300 cas par an, est très faible par rapport à ce que nous pouvons raisonnablement estimer à partir des données épidémiologiques ", soutient le Pr Ameille. Cette lacune est doublement regrettable. Pour les salariés, tout d'abord, car ils ne peuvent pas accéder à leurs droits. Mais aussi parce que des actions préventives efficaces ne sont pas, ou peu, menées dans les entreprises, du fait de l'absence de mise en cause du travail.

 

Près de 400 substances allergisantes

Mobilisant un réseau de médecins du travail et des pneumologues, l'Observatoire national des asthmes professionnels (Onap) recueille depuis 1996 des informations sur les cas recensés. Son objectif : mieux connaître les substances responsables de ces affections et identifier les métiers concernés (voir " Repère "). " Il ressort des données engrangées par l'Onap, déclare le Pr Ameille, coordonnateur du réseau, que la première cause d'asthme est la farine. Elle entraîne un cas sur cinq. " Les isocyanates arrivent en deuxième position. Particulièrement graves, les asthmes dus à ces molécules servant à la fabrication de peintures ou de plastiques peuvent entraîner la mort en cas de persistance de l'exposition. Et quand elles ne sont plus exposées au risque, 50 % des personnes conservent un asthme qui peut être sévère.

Parmi les substances allergisantes figurent également les persulfates alcalins, qui entrent dans la composition des produits de décoloration utilisés par les coiffeurs, ou encore le latex des gants à usage unique des professionnels de santé. Enfin, de nouveaux produits apparaissent comme risqués. C'est le cas de l'ammonium quaternaire, présent dans les détergents, ou de la chloramine, que l'on trouve dans les piscines. Au total, près de 400 agents susceptibles de provoquer des asthmes ont été repérés.

La surveillance épidémiologique est en passe de s'étoffer. En effet, la Dre Yuriko Iwatsubo, du département santé-travail de l'Institut de veille sanitaire, pilote actuellement des études destinées à réaliser, avec l'Onap, un recueil exhaustif des cas survenus dans des zones géographiques déterminées.

La déclaration de maladie professionnelle (MP) constitue la première étape de la procédure permettant aux salariés d'accéder à leurs droits en matière de réparation. L'asthme est mentionné dans 15 des 112 tableaux de MP existant pour le régime général de Sécurité sociale. Afin que sa maladie soit reconnue, le salarié doit tout d'abord s'assurer qu'elle répond à l'ensemble des critères énoncés dans l'un de ces tableaux. Si toutes les conditions ne sont pas remplies, il lui faut recourir au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP). Il revient à cette structure d'apprécier l'origine professionnelle de la maladie.

Le diagnostic nécessite de faire un bilan médical assez complexe, " à effectuer pendant une période d'activité professionnelle, sauf si l'asthme est sévère ou instable, ce qui impose une éviction immédiate ", précise Gérard Lasfargues, directeur du département santé au travail de l'Afsset. Pour ce dernier, la prise en charge du patient dans un centre de consultation de pathologies professionnelles (CPP) permet un meilleur accompagnement. La coopération des différents acteurs - médecins du CPP, du travail et pneumologue - facilite la démarche de déclaration. Reste que la réparation découlant d'une reconnaissance en maladie professionnelle est faible. " Pour le salarié, il vaut parfois mieux, financièrement, choisir le régime lié à la déclaration en invalidité ", note Gérard Lasfargues.

Enfin, la question du maintien dans l'emploi est posée. L'avis d'inaptitude, proposé par le médecin du travail pour supprimer l'exposition, peut être dramatique dans la mesure où il se traduit trop souvent par un licenciement et un chômage prolongé. La décision au cas par cas doit être le résultat d'un compromis entre le risque médical et le risque social.

 

Boulangers et peintres mieux protégés

Face aux lourdes conséquences de l'asthme, des mesures préventives ont été recherchées, ciblant les métiers les plus touchés. Les boulangers béné­ficient ainsi des efforts initiés en 1999 par l'Assurance maladie, avec les organismes professionnels. Du matériel mieux conçu est désormais disponible, comme le pétrin équipé d'un couvercle protecteur. Les méthodes de travail ont été passées à la loupe et des préconisations ont été faites. Par exemple, le nettoyage du fournil devrait être effectué avec un aspirateur industriel. Enfin, une sensibilisation au risque lié à l'inhalation de farine a été intégrée à la formation des apprentis boulangers.

Chez les carrossiers, la prévention est mise en oeuvre depuis une quinzaine d'années par les caisses régionales d'assurance maladie (Cram). Ces professionnels utilisent en effet des vernis dont les durcisseurs contiennent des isocyanates. " Des normes de ventilation strictes ont été établies pour les cabines de peinture ", indique Jean-François Certin, ingénieur-conseil à la Cram des Pays-de-la-Loire. " La réglementation mise en place en France en 1990 oblige à faire installer une ventilation verticale, avec une vitesse de circulation de l'air fixée à 0,40 m par seconde, au minimum ", ajoute Gilles Castaing, expert technique à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Mais une norme européenne, publiée en 2005, a affaibli cette protection, en réduisant cette vitesse de circulation de moitié. Aujourd'hui, " l'INRS et les Cram recommandent le port d'un équipement de protection respiratoire ", en plus de la ventilation, précise cet expert.

D'autres secteurs ont été amenés à réagir. Aujourd'hui, note Jacques Ameille, " certains produits de décoloration sont présentés sous forme de pâtes, au lieu de poudres, très volatiles. Les procédés de fabrication des gants en latex ont changé et leur utilisation a été réduite ". Mais, malgré ces avancées, la vigilance reste de mise, car la liste des produits nocifs ne cesse de s'allonger.

En savoir plus
  • Des études et brochures portant sur les asthmes professionnels sont téléchargeables sur le site de l'Institut national de recherche et de sécurité : www.inrs.fr

  • Une base de données consacrée à ces maladies et destinée aux médecins est accessible à l'adresse suivante : www.asmanet.com/asmapro/accueil-cd.html