Chamboule-tout

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François Desriaux rédacteur en chef
/ octobre 2018

Ça va décoiffer ! La santé au travail s'est invitée au coeur de la rentrée sociale et le Premier ministre devrait s'appuyer sur le rapport Lecocq-Dupuis-Forest, remis fin août au gouvernement, pour rédiger la feuille de route qui structurera les futures négociations interprofessionnelles sur le sujet. La mission Lecocq, menée en proximité avec l'exécutif, formule 16 propositions articulées autour d'un véritable chamboule-tout de l'organisation de la prévention des risques professionnels. Parmi celles-ci, la création d'établissements régionaux regroupant les services de santé au travail (SST) et les institutions locales de prévention devrait remodeler fondamentalement le paysage. Mais aussi les métiers et les pratiques professionnelles. Excusez du peu. L'objectif annoncé est clair : constituer un "guichet unique" garantissant une offre de services en prévention pour aider les entreprises à mieux gérer les risques.

Si les principaux acteurs de la santé au travail sont partagés quant à cette évolution, on notera que l'idée d'un "guichet unique" est plutôt bien accueillie. Cela s'explique par la situation préoccupante des risques professionnels en France et l'incapacité du système actuel à y remédier, soulignées de façon quasi unanime par de récents rapports. Ainsi, nombre de médecins du travail considèrent qu'il est urgent de sortir les SST de la seule gestion patronale. Sans doute. Mais ils pourraient bien être froidement douchés. En effet, le médecin du travail peut difficilement s'inscrire dans une logique de services au seul bénéfice des entreprises, alors qu'il se doit d'agir dans l'intérêt exclusif de la santé des travailleurs, de conseiller le salarié et les représentants du personnel. Or la rédaction du rapport Lecocq est à ce propos ambiguë. Certains observateurs redoutent un cantonnement du médecin du travail au cabinet médical, sans observation des postes de travail et sans intervention sur la prévention primaire. Les rapporteurs se défendent de cette perspective, mais c'est un point qu'il faudra surveiller de près. Car si la médecine du travail venait à être amputée du travail, c'en serait fini de sa capacité de surveillance des effets délétères de celui-ci. Elle ne pourrait plus jouer, en toute indépendance, son rôle de sentinelle et de lanceuse d'alerte.

Autre sujet d'interrogation : le rapport préconise d'alléger les obligations réglementaires plutôt que d'en ajouter, d'inciter plutôt que de contraindre, d'offrir un service plutôt que d'imposer des mesures, de négocier plutôt que de réglementer. Une philosophie qui s'inscrit dans la volonté clairement affichée de la ministre du Travail d'envoyer des signaux pro-business aux entreprises. Sauf que, dans le domaine de la santé au travail, les entreprises sont loin d'être spontanément vertueuses. Les pouvoirs publics ont beaucoup misé sur le dialogue social pour lutter contre l'épidémie de risques psychosociaux, ou encore pour renforcer le maintien dans l'emploi des salariés vieillissants, malades ou handicapés. Le bilan est décevant. L'histoire sociale montre que la prévention des risques professionnels reste un combat. Sans véritable contrainte et sans obligation de résultat, l'écueil est d'en rester à des mesures d'affichage.