France Télécom : vers une judiciarisation des suicides?

par François Desriaux / 08 octobre 2009

Santé & Travail a pris connaissance du courrier adressé le 2 octobre dernier au PDG de France Télécom par l'Inspection du travail. On peut y lire que l'opérateur n'avait d'autre choix que de suspendre les mobilités et que de sérieuses menaces de poursuites pénales le guettent.

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Cela s'appelle savoir rebondir. En annonçant le départ de son numéro deux, Louis-Pierre Wenès, et le gel des mobilités forcées, la direction de France Télécom a donné des gages à son actionnaire majoritaire, l'Etat, à l'opinion publique et aux partenaires sociaux qu'elle commençait à comprendre la nécessité de changer radicalement de politique de relations sociales.

Mais dans les faits, elle n'avait pas d'autre choix. En effet, le PDG de l'entreprise venait de recevoir un courrier sans appel de l'Inspection du travail. Dans cette lettre datée du 2 octobre, dont Santé & Travail a pris connaissance, Sylvie Catala, l'inspectrice du travail du 15e arrondissement de Paris (siège de France Télécom SA), estime que, « compte tenu de la gravité de la situation et afin de prévenir tout risque de suicides supplémentaire, il semblerait raisonnable de suspendre les réorganisations, restructurations affectant les conditions de travail des personnels en termes de lieu de travail, métier, fonctions, rémunérations jusqu'à la restitution par le cabinet Technologia de ses conclusions ».

La lettre se poursuit par un long paragraphe qui ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre à l'opérateur téléphonique, puisque l'inspectrice du travail informe son PDG qu'« en application de l'article L4721-1 du Code du travail, j'ai adressé au directeur départemental du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle de Paris un rapport en vue de l'établissement d'une mise en demeure. Cette mise en demeure a pour objet la suspension des réorganisations précitées jusqu'à restitution par le cabinet Technologie de son rapport [...] ».

On n'imagine mal comment le directeur départemental du Travail, placé sous la responsabilité du directeur général du Travail, lui-même délégué par le ministre Xavier Darcos pour suivre de très près cette affaire, pourrait ne pas suivre les recommandations de son inspectrice. Le gel des mobilités réclamé par les organisations syndicales était donc acquis.

Menaces de poursuites pénales

Mais le dernier paragraphe du courrier laisse planer une menace plus sérieuse encore de poursuites pénales, tant vis-à-vis de la personne morale de France Télécom que des membres de la direction de l'opérateur. L'enquête diligentée par l'inspectrice du travail lui a permis en effet de rassembler de nombreuses pièces en provenance des CHSCT - rapports d'expertise, comptes rendus - mais aussi des courriers des services de l'Inspection du travail en charge du contrôle de plusieurs établissements de France Télécom. Or il ressort de ces pièces que la direction de l'opérateur a été « alertée à de nombreuses reprises de l'existence de risques psychosociaux au sein de l'entreprise et de la nécessité de prendre des mesures visant à préserver la santé physique et mentale des travailleurs ».

Il ne semble pas que ces « alertes » aient provoqué une réaction suffisamment énergique de France Télécom pour remédier à la situation délétère, décrite également par plusieurs rapports de médecine du travail. Il semblerait qu'au contraire la direction ait plutôt cherché à en minimiser la portée afin d'éviter toute remise en cause de son plan de restructuration.

Actuellement, la justice est saisie d'une plainte contre X pour mise en danger de la vie d'autrui déposée par les syndicats FO et CFE-CGC, à la suite du suicide d'un agent survenu à Annecy le 28 septembre dernier. L'enquête menée par l'Inspection du travail constituera une pièce à charge dans l'instruction de ce dossier. La direction et les syndicats le savent. La première a sacrifié son numéro deux, surnommé « le Cost Killer » et considéré comme l'artisan des restructurations. Les seconds attendent en embuscade : selon l'évolution de la négociation, l'option judiciaire risque de peser lourd dans les discussions.