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Des fumées qui inquiètent les pompiers

par Eliane Patriarca / janvier 2018

Un récent rapport, qui compile des études épidémiologiques internationales, indique une surmortalité par cancer chez les sapeurs-pompiers, liée à l'exposition chronique aux fumées d'incendie. Les autorités commencent à réagir.

Il n'y a pas de fumée sans feu, dit-on. Mais pour les pompiers, il n'y a pas de feu sans fumée, et celle-ci fait peser une menace sur leur espérance de vie. Un rapport, réalisé à la demande de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et publié en septembre, a mis en lumière une surmortalité par cancer liée à l'exposition chronique aux fumées d'incendie.

Particules fines cancérogènes

Parmi les études épidémiologiques compilées dans ce rapport, une analyse de la mortalité menée en France entre 2007 et 2011 montre que cette "surmortalité par cancers (poumon, cavité buccale, foie, voies biliaires, pancréas, tissus lymphatiques)" s'installe au fur et à mesure des années de métier. Car, en début de carrière, les pompiers sont dans un "excellent état de santé", ce qui est normal puisqu'ils sont sélectionnés sur leur forme physique et leur hygiène de vie. Des études belges, espagnoles, américaines, canadiennes aboutissent à des résultats convergents. Aux Etats-Unis, par exemple, le suivi d'une cohorte de 30 000 pompiers entre 1950 et 2009 a permis de révéler un taux de cancers bien supérieur à la moyenne.

Durant l'intervention, les tenues de protection et l'appareil respiratoire isolant évitent les intoxications aiguës, qui pourraient être très graves. En revanche, des poussières et particules fines dégagées par les fumées peuvent pénétrer dans l'organisme, en particulier à travers la peau, parce qu'elles viennent s'accumuler au fil des interventions à l'intérieur des casques, sur les tenues de feu ou sur le matériel. Ces particules contiennent "des hydrocarbures aromatiques polycycliques dont certains ont une cancérogénicité avérée", précise le rapport commandé par la CNRACL, mais aussi "de la silice cristalline, du formol, de l'amiante, des dérivés chlorés, du plomb". En outre, lorsqu'ils interviennent sur des feux de végétaux, les pompiers sont exposés à "un mélange complexe de produits de combustion" et sont d'autant plus vulnérables qu'ils travaillent sans appareil respiratoire (trop lourd et encombrant) et que "leurs interventions peuvent durer plusieurs heures", voire plusieurs jours.

"Il faut légiférer"

Le rapport, qui recommande notamment de "laver, voire décontaminer les tenues de feu" et de "développer la culture de la prévention", a incité la direction générale de la Sécurité civile à réagir. Le 9 novembre, cette dernière a annoncé une "stratégie nationale", déclinée en trois axes : la réalisation d'un état des lieux des risques par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ; la diffusion d'une note d'information aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ; enfin, la réalisation d'un guide de bonnes pratiques d'ici juin prochain.

Un guide attendu "avec impatience", assure Paul Malassigné, chef de pôle hygiène sécurité au SDIS de l'Indre et membre du groupe de travail à l'origine du rapport. Et d'ajouter : "Sur les blogs et forums de pompiers, on ne parle que des fumées !" Pour sa part, André Goretti, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers, est excédé par la temporisation du gouvernement : "On ne va pas attendre les résultats de l'Igas ! Il faut légiférer et mettre en place des mesures de protection, comme l'ont fait nos voisins belges." Sont ainsi réclamés procédures post-intervention, protocole de décontamination des tenues et du matériel, suivi médical approfondi, reconnaissance des cancers en maladies professionnelles... "On ne vivra pas ce qu'ont vécu les travailleurs de l'amiante", prévient-il, annonçant un conflit social si des mesures ne sont pas prises d'ici février.