Le sort réservé aux sous-traitants fragilise la sûreté nucléaire

par Jean-Philippe Desbordes / juillet 2011

Pour Michel Lallier, représentant de la CGT au Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, la coopération entre les opérateurs et les savoir-faire collectifs sont aussi importants pour la sûreté que le dispositif technique.

En quoi les nouveaux modes de management peuvent-ils conduire des salariés du nucléaire à prendre des doses de rayonnements ionisants supplémentaires ?

Michel Lallier : Les contraintes du travail se sont considérablement renforcées. Dès lors que l'électricité est devenue une marchandise - et le nucléaire en est la source première de fabrication -, les salariés des centrales ont vu leur activité marquée par une multiplication des contraintes : diminution des effectifs, pression temporelle, réduction des moyens matériels... Et tout cela a pour conséquence d'accroître les risques, à la fois en termes de santé, de sécurité et de sûreté.

Pourquoi la sûreté est-elle concernée ?

M. L. : Parce que la sûreté repose sur trois piliers : un pilier technique et procédural, c'est-à-dire le technique et le mode d'emploi du technique - qu'on appelle aussi " prescriptif " -, un pilier social et organisationnel et un pilier humain. Une centrale nucléaire ne fonctionne pas par le génie propre de la technique, mais parce qu'il y a des gens qui la font fonctionner. Les conditions dans lesquelles ces travailleurs exercent leurs compétences sont tout aussi importantes que la machine en elle-même. On ne peut pas comprendre la sûreté nucléaire si on n'aborde pas la question du travail, sinon la sûreté ne reste qu'un objet technique. Comprendre le travail, ce n'est pas simplement aborder la question des " conditions de travail ", c'est comprendre ce qui se joue dans le travail et cela dépasse de loin la simple exécution de la tâche. Il s'agit de prendre en compte toutes les dimensions du travail, qu'elles soient sociales - salaires, statut, précarité d'emploi - ou organisationnelles, comme le niveau de recours à la sous-traitance et les conditions de passation des marchés avec les entreprises sous-traitantes, l'organisation même du travail, avec la charge qui pèse sur les salariés, leur degré d'autonomie, la possibilité d'un soutien social et d'une reconnaissance du travail bien fait au sein du collectif...

Toutes ces conditions peuvent favoriser la coopération entre les opérateurs, permettre le développement de savoir-faire individuels et collectifs... ou, au contraire, générer des risques psychosociaux. Le résultat n'est pas indifférent sur la conduite d'une activité à risque comme le nucléaire, surtout lorsque 80 % des opérations de maintenance sont sous-traitées. Or force est de constater que, pour les sous-traitants, les dimensions dont nous venons de parler se dégradent et que cela fragilise la sûreté.

Etes-vous entendu sur cet aspect de la sûreté, notamment suite à la catastrophe de Fukushima ?

M. L. : Cela fait déjà plusieurs années que la CGT porte ces questions. Or, jusqu'à présent, l'ensemble des dimensions du travail n'étaient prises en compte que dans le cadre d'une approche dite " du facteur humain ", avec un côté péjoratif, puisque, dans cette conception, l'homme est considéré comme le maillon faible du dispositif. Pourtant, il est clair que c'est bien grâce à l'homme et non à une infaillibilité technique imaginaire que nous n'avons jamais eu à déplorer de catastrophe majeure dans nos centrales nucléaires.

La vision des autorités de sûreté a tendance à évoluer. Nous avons ainsi obtenu que l'audit post-Fukushima, organisé en France par l'Autorité de sûreté nucléaire, s'intéresse à la fois aux questions de sous-traitance et aux aspects sociaux, organisationnels et humains. Reste à déterminer l'approche méthodologique, mais nous estimons qu'un pas en avant a été fait.