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Les lobbies à la manœuvre sur le dioxyde de titane

par Rozenn Le Saint / 25 avril 2019

Censée statuer sur le classement du dioxyde de titane comme « cancérogène suspecté », la Commission européenne a encore reporté in extremis cette décision, le 11 avril. Sous l’influence des fabricants, selon les défenseurs de la prévention.

La France a bien du mal à se faire entendre à propos des dangers liés à l’exposition au dioxyde de titane (TiO2). Ce pigment blanc est utilisé sous forme nanoparticulaire dans de nombreuses applications industrielles et commerciales, les salariés les plus exposés travaillant dans les secteurs du BTP, de la chimie, de l'alimentaire et des cosmétiques. Le comité d'évaluation des risques de l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) a préconisé de classer le TiO2 comme « cancérogène suspecté », dans la catégorie 2 de la classification européenne. En France, les scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) plaident pour qu’il soit classé dans une catégorie supérieure, la 1B, comme « cancérogène supposé » en cas d’inhalation. Logiquement, la Commission européenne aurait dû déjà voter la classification proposée par l’Echa, afin que s’imposent aux fabricants les mesures de prévention qui en découlent, notamment l’obligation d’information des usagers et des travailleurs à travers l’étiquetage des produits et les fiches de données de sécurité. Si ce n’est qu’elle reporte sans cesse son adoption.

La Commission européenne sous influence ?

Le 11 avril dernier, elle l’a même supprimé de l’ordre du jour du prochain comité européen censé se prononcer sur le sujet. « Au prétexte que les différents pays ne se sont pas mis d’accord, entre les fers de lance de la prévention, comme la France et les Pays-Bas, et ceux vent debout contre un durcissement de la réglementation, comme la Slovénie ou la Grande-Bretagne, où les fabricants de produits contenant du dioxyde de titane font davantage pression », rapporte Mathilde Detcheverry, responsable du site  veillenanos.fr, de l’Association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies (Avicenn). « Pendant ce temps, les travailleurs ne sont pas informés des dangers, encore moins dans les petites entreprises ou chez les artisans moins entourés de préventeurs », déplore-t-elle.
La Commission européenne a normalement pour habitude de se fier à la proposition du comité d’expertise de l’Echa. Là, cela ne semble plus être le cas. Au fur et à mesure des reports du vote de la classification, le champ des expositions visées par cette dernière s’est restreint comme peau de chagrin. « Elle ne concerne plus que l’exposition sous forme de poudre, alors que l’inhalation par aérosol, notamment, représente un véritable danger. La proposition de la Commission européenne est de plus en plus en phase avec les lobbies des fabricants », dénonce encore une fois Mathilde Detcheverry.

Une valeur toxicologique de référence

« Les atteintes portées à la classification du dioxyde de titane en Europe inquiètent jusqu'aux Nations unies », rapporte d'ailleurs le site veillenanos.fr.  Le 11 avril, Baskut Tuncak, rapporteur spécial des Nations unies sur les conséquences pour les droits de l'homme de la gestion des substances et déchets dangereux, a demandé dans un courrier des explications à la Commission européenne sur sa gestion du dossier et exprimé ses inquiétudes par rapport au rôle des lobbies. Les dangers du dioxyde de titane sont en effet connus depuis longtemps. En 2006, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) l’avait déjà classé comme « cancérogène possible pour l’homme » lorsqu’il est inhalé.
En attendant un consensus européen, la France tente d’avancer de son côté. Le 2 avril, l’Anses a recommandé une valeur toxicologique de référence (VTR) pour le TiO2, première étape avant l’élaboration de valeurs limites d’exposition professionnelle. Sur la base de cette VTR, « des évaluations de risques sanitaires seront menées dans le cadre des actions de gestion des installations et sites industriels en France », indique l’Anses. Par ailleurs, cette fois sur le versant alimentaire et non plus professionnel, le gouvernement français a finalement décidé de suspendre « par précaution » à compter de 2020 l’utilisation dans la nourriture de l’additif E171, formé de nanoparticules de dioxyde de titane. Ce colorant est très présent dans les confiseries, biscuits et plats préparés.