Un malaise lié au sentiment de travail mal fait

par Eric Berger / avril 2013

L'information en flux continu a un impact sur le travail des journalistes, leur métier. Pour rafraîchir en permanence l'antenne, les chaînes ne peuvent fonctionner uniquement avec des reporters ou journalistes reporters d'images (JRI). Elles ont aussi besoin de journalistes sédentaires : les "deskeurs". A partir d'images d'actualité fournies par une banque internationale d'échange ou les agences mondiales de télévision, ces derniers sont chargés de monter sujet sur sujet, en enregistrant leur commentaire et en le mixant avec les images. Planifiés sur différentes vacations, afin d'alimenter toutes les éditions, ces journalistes peuvent passer d'un fait divers à une visite présidentielle ou à un topo sur l'évolution du chômage. Pour rédiger leur commentaire, ils s'appuient généralement sur des dépêches d'agence, un article de presse. "On produit des packages en série comme dans une usine, explique un deskeur de France 24. Ce qui compte, c'est d'aller vite, même si la qualité n'est pas là. Il vaut mieux avoir un package imparfait que rien du tout."

"Cacher la misère"

Entre la pression temporelle, la compétition féroce entre chaînes et l'insuffisance des ressources, les journalistes doivent souvent déroger aux règles de l'art, sans avoir la satisfaction du travail bien fait. Ceux qui cumulent les conditions les plus difficiles acceptent à contrecoeur de revoir leurs exigences à la baisse. "Faire du bon boulot, estime un JRI, c'est parvenir à cacher la misère en produisant un sujet propre avec les moyens dont on dispose." Ces professionnels déplorent également une uniformisation dans le traitement de l'information et une perte de sens de leur travail. BFM TV et i>Télé ont déployé des moyens pour retransmettre en direct l'arrivée de la course du Vendée Globe, mais ont fait le service minimum sur le défilé pour le mariage gay, organisé le même jour. "Avec cette manif, l'actu était riche à Paris, raconte un reporter, alors qu'il ne se passait pas grand-chose de palpitant aux Sables-d'Olonne. Du coup, le journaliste en duplex, qui devait intervenir toutes les demi-heures dans les journaux, a fait le perroquet." Dans cette course à l'échalote, la tentation de sortir une info en exclusivité avant les concurrents prend parfois le pas sur la vérification. En pleine affaire Merah, par exemple, lors de l'intervention du Raid au domicile du tueur, les envoyés spéciaux de BFM TV avaient annoncé l'arrestation de ce dernier. Un couac qui a été vite oublié, car la chaîne a eu, lors de cet événement, sa plus forte audience.