Mauvais signaux

par François Desriaux rédacteur en chef / avril 2014

La scène se passe dans les locaux de la direction générale du Travail (DGT), le 28 février dans l'après-midi. Le secrétaire général du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) présente au groupe de travail qui planche depuis plusieurs mois sur une refonte de la gouvernance de la santé au travail les principales conclusions de ses débats. Au terme de neuf réunions, le terrain est bien balisé : tout le monde semble d'accord pour que soit "organisé au niveau national et décliné au niveau régional un organe tripartite dédié à la coconstruction, à la mise en cohérence et au suivi de la mise en oeuvre de la politique publique de santé au travail", comme on peut le lire dans le projet de synthèse. Mais, à la stupéfaction générale, les représentants du Medef expliquent que, tant que le gouvernement persistera dans sa volonté de mettre en place le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), il ne pourra y avoir aucune autre discussion sur la santé au travail. Ils ne font d'ailleurs que reprendre les propos de leur président, Pierre Gattaz, qui, quelques jours auparavant, a demandé un moratoire sur tous ces projets réglementaires qui "stressent les patrons". Pourtant, le C3P est le corollaire indispensable au recul de l'âge de la retraite voulu par le Medef. Sur un plan politique, c'est la contrepartie qu'a portée le Premier ministre pour faire passer au Parlement la pilule de l'allongement de la durée de cotisation. Même si l'on peut difficilement imaginer ce gouvernement (ou le prochain) se renier sur un sujet aussi sensible, on peut craindre que les textes réglementaires en préparation définissent un C3P au rabais

Le matin de ce 28 février, dans les mêmes locaux, le professeur de droit Pierre-Yves Verkindt a présenté au Coct son rapport sur l'évolution du CHSCT, commandé par le ministre du Travail. Astucieusement, ses 33 propositions pour faire évoluer cette instance représentative du personnel (IRP) répondent à la perspective du pacte de responsabilité et à la volonté du chef de l'Etat de privilégier la négociation sociale sur la loi. Mis à part l'élection des membres du CHSCT au suffrage direct et le renforcement de la responsabilité des donneurs d'ordres dans les travaux de sous-traitance, qui réclament un passage devant le Parlement, il est principalement question, dans les recommandations du rapport, de négociations de branche et d'expérimentations. On s'attendait donc à un minimum d'enthousiasme de la part des partenaires sociaux et des pouvoirs publics. Que nenni ! Silence gêné, embarras ou mépris, il semble bien, d'après les premières réactions, que beaucoup auraient préféré que ce rapport n'existât pas. Pourtant, à bien lire le relevé de conclusions signé par trois organisations syndicales et le patronat sur le pacte de responsabilité, une majorité des propositions du rapport Verkindt s'inscrivent parfaitement dans les futures négociations de branche sur l'emploi et la qualité de celui-ci. Et aussi dans celle sur la modernisation du dialogue social et la simplification des IRP.

On peut donc se demander, au vu de ces mauvais signaux, si la diminution du coût du travail ne va pas enterrer l'amélioration de la qualité de vie au travail, le maintien dans l'emploi des salariés vieillissants... et l'espoir d'une démocratie sociale renforcée.