Les négociations sur le stress au travail enfin ouvertes

par Philippe Frémeaux / 08 avril 2008

Patronat et syndicats ont entamé lundi 7 avril la négociation sur le stress au travail, afin de transcrire en droit français l'accord-cadre européen signé en octobre 2004.

Cette transposition aurait dû être menée à bien trois ans au plus après la signature de l'accord, mais enfin, mieux vaut tard que jamais... Expliquons tout d'abord : en quoi consiste un accord-cadre européen ? Il s'agit d'un accord entre partenaires sociaux européens concernant un domaine du droit du travail où l'Union européenne dispose d'une compétence, ce qui est le cas pour les conditions de travail. Cet accord définit des règles générales qu'il appartient ensuite à chaque Etat-membre de préciser et de développer dans sa propre législation nationale.

Pourquoi l'Etat français est-il tenu de transposer un accord entre partenaires sociaux ? Parce que, selon les traités européens, la volonté des partenaires sociaux, quand ils parviennent à s'entendre, tient lieu de loi en matière sociale. Cet accord a dès lors une valeur juridique identique à celle d'une directive, c'est-à-dire qu'il s'impose aux Etats-membres qui doivent en transposer le contenu dans leur législation nationale. La transposition suppose donc l'adoption d'une loi, sachant que, désormais, dans ce domaine, le gouvernement doit tout d'abord saisir les partenaires sociaux pour obtenir leur avis, un avis qui, en revanche, ne lie pas le législateur français, même en cas d'accord.

Venons-en maintenant à l'enjeu. 28 % des salariés se disent aujourd'hui touchés par le stress en Europe. Selon le Bureau international du travail (repris par le quotidien La Tribune du 7 avril dernier), son coût économique s'élèverait à 2 % voire 4 % du PIB et il expliquerait une large partie des arrêts de travail les plus longs. Les suicides intervenus ces derniers mois dans de nombreuses entreprises, aussi bien en milieu ouvrier que chez les cadres, comme cela a été le cas au technocentre Renault de Guyancourt, témoignent de la nécessité d'agir pour prévenir les situations de stress excessive.

Un engagement total, physique et mental

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir sur les mutations observées dans les organisations productives ces dernières décennies. Le déclin de la grande entreprise et de la grande industrie, la montée des services, le poids croissant des PME dans l'emploi, se sont accompagnés de profondes transformations des organisations, sur fond d'accroissement de la concurrence en raison de la mondialisation. Tout cela s'est traduit par une régression du modèle taylorien antérieur au profit d'organisations plus horizontales, une évolution facilitée par la hausse générale du niveau de qualification. Certes, intensification et pénibilité caractérisent toujours de multiples tâches, un néotaylorisme se développe même dans de nombreux secteurs des services (restauration rapide, centres d'appels, etc.). Mais il est vrai que les situations de travail mobilisent de plus en plus l'intelligence des individus, y compris dans les emplois ouvriers dits d'exécution. Cette évolution contribue à intégrer les salariés et à les motiver, en rendant plus intéressant le travail.

Mais, dans le même temps, ces organisations s'accompagnent souvent de nouvelles contraintes pour les salariés. Aux objectifs immédiats, quantitatifs, se sont substitués des exigences plus globales, plus comportementales. On attend du salarié un engagement total, physique et mental. De plus, cette nouvelle contrainte est devenue systémique : l'autorité du petit chef ou du patron contre lequel on pouvait s'unir, s'organiser collectivement, s'est vu substituée par la dictature du client ou la concurrence des Chinois. Désormais, quand on ne satisfait pas aux exigences de son travail, ce n'est pas que le patron vous en demande trop, c'est tout simplement qu'on n'est pas bon. Le travail peut ainsi avoir parfois plus de sens, mais il s'accompagne de davantage de stress. Comme le dit le texte de l'accord-cadre, le stress résulte de situation dans lesquelles les salariés se sentent « inaptes à combler un écart avec les exigences et les attentes les concernant ».

Que faire sur ces bases ? L'accord-cadre prévoit qu'il est de la responsabilité des employeurs d'identifier les situations de stress, d'analyser leurs facteurs et d'agir pour le « prévenir, l'éliminer ou le réduire ». Pour les organisations syndicales, le stress est un élément de la pénibilité, il s'agit d'une question d'organisation du travail, de mode de management, qui doit faire l'objet de négociations entre partenaires sociaux, dans l'intérêt même des entreprises. Car si une dose de stress est évidemment une composante normale de tout travail, trop de stress finit par peser sur l'efficacité individuelle et collective des organisations. Une partie du patronat en est d'ailleurs consciente. C'est ainsi que le Centre des jeunes dirigeants devrait lancer en juin prochain une expérimentation afin d'évaluer les raisons et les conséquences du stress au travail et examiner quelles solutions trouver. Des solutions qui iraient bien au-delà de formations genre « gérer votre stress », notamment en apprenant à bien respirer, comme le propose Renault à ses cadres, mais passerait aussi par des formations destinées aux dirigeants eux-mêmes. Vaste programme...