© Nathanaël Mergui/FNMF

Chlordécone : le scandale refait surface

par Stéphane Vincent / 21 février 2018

Perturbateur endocrinien et cancérogène possible pour l'homme, le chlordécone, insecticide organochloré employé massivement pour la culture de la banane dans les Antilles, se retrouve de nouveau au cœur de l'actualité. Les limites maximales de résidus (LMR) de cette substance autorisées pour l'alimentation sont à l'origine d'une récente levée de bouclier de la part d'élus politiques de Martinique et de Guadeloupe. Ces LMR ont été modifiées à la hausse par la Commission européenne en 2013 et ne sont pas jugées assez protectrices par les acteurs de prévention sur le terrain. Or l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) vient de les avaliser dans un récent avis, rendu en novembre 2017.

De récentes études ont pourtant démontré que le chlordécone pourrait être à l'origine de cancers de la prostate, très courants dans les Antilles, ou de maladies de Kahler, un cancer hématologique. Ses effets délétères sur les fœtus sont aussi reconnus. Interdit en 1990, ce toxique a continué à être utilisé, au moins officiellement, jusqu'en 1993, suite à des dérogations obtenues par le puissant lobby des producteurs de bananes. Substance persistante dans l'environnement, il demeure présent dans les sols et de nombreux produits alimentaires. Les salariés des bananeraies ont bien entendu été exposés à des doses infiniment plus importantes, sans aucun suivi spécifique pendant des années.

Santé & Travail avait déjà dénoncé ce scandale sanitaire en 2009, dans une enquête menée sur le terrain, auprès notamment des travailleurs ayant utilisé ce produit. Depuis, plusieurs études et rapports ont accrédité le risque qu'il représente pour la santé et pointé la responsabilité des pouvoirs publics qui ont décidé de prolonger son utilisation. Nous réunissons dans ce dossier d'actualité différents articles publiés ces dernières années par notre magazine et permettant d'appréhender les enjeux sanitaires et sociaux posés par le chlordécone.

© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Pesticides : des sénateurs prônent le risque zéro

par Ivan du Roy / janvier 2013

Dans un récent rapport, un groupe de sénateurs propose plusieurs mesures visant à mieux prévenir et réparer les atteintes à la santé liées aux pesticides, ainsi qu'à renforcer la recherche sur leur toxicité et les conditions de leur mise sur le marché.

Le rapport remis en octobre dernier au Sénat sur les risques liés aux pesticides devrait faire date. La mission d'information qui l'a rédigé, composée de 27 sénateurs de tout bord, s'est donnée les moyens de dresser un panorama exhaustif : sept mois de travail, 95 auditions. Initiée par l'élue de Charente Nicole Bonnefoy (PS) et présidée par Sophie Primas (UMP), sénatrice des Yvelines, la mission a été créée suite au combat mené par l'agriculteur charentais Paul François, intoxiqué par un herbicide de Monsanto1 . Le rapport (voir "A lire") formule 109 recommandations pour davantage encadrer la filière, de la fabrication des pesticides à leur épandage, assurer une meilleure protection des travailleurs qui y sont exposés, instaurer une véritable évaluation scientifique de leurs effets et durcir les autorisations de mise sur le marché (AMM). Une rupture avec le précédent rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, publié en 2010, plutôt favorable à l'industrie.

Sous-déclaration des maladies professionnelles

La mission d'information s'est tout d'abord heurtée à des chiffres très contradictoires. D'un côté, le dernier bilan du dispositif Phyt'attitude, mis en place par la Mutualité sociale agricole, qui remonte à dix ans. Selon ce dernier, les deux tiers des troubles de santé qui lui ont été signalés sont liés aux pesticides, en particulier dans la viticulture et l'arboriculture. De l'autre, la faiblesse du nombre de maladies professionnelles reconnues en lien avec les pesticides : 20 pathologies entre 2008 et 2010. "Comment interpréter ces chiffres ? Sont-ils le signe qu'il n'existe pas aujourd'hui d'urgence sanitaire relative aux pesticides ? La réponse semble plutôt à chercher du côté de la sous-déclaration des maladies", indiquent les sénateurs. Et de pointer "l'ignorance de la victime quant à la dangerosité des substances", à laquelle s'ajoutent "le manque de formation des médecins-conseils" et la complexité du processus de reconnaissance.

La mission déplore aussi la lenteur avec laquelle les tableaux de maladies professionnelles intègrent de nouvelles pathologies, "ce qui aboutit à une non-indemnisation des personnes alors même que la pathologie dont elles souffrent peut trouver son origine dans leur travail". Le rapport recommande qu'ils soient actualisés plus rapidement, en prenant en compte les présomptions qui remontent du terrain, comme cela a été le cas pour la maladie de Parkinson, avec la création en mai 2012 d'un tableau spécifique mentionnant l'exposition aux pesticides comme critère de reconnaissance.

Les sénateurs ont également regretté le peu de données épidémiologiques disponibles sur les pesticides. "Ma grande surprise a été de constater la totale absence de suivi épidémiologique des expositions. Cette absence nourrit la fabrique du doute", confie Sophie Primas. "Nous disposons de bases de données sur la contamination des sols et de l'eau, mais rien sur la contamination humaine", confirme Gérard Lasfargues, de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), auditionné par la mission. Les sénateurs proposent notamment d'utiliser les registres locaux des cancers, qui recensent ces pathologies par type de localisation dans quatorze départements, soit pour 20 % de la population. Le rapport souhaite les généraliser "dans tous les départements et en centraliser les données", avec la création d'un registre national. Une tâche qui serait confiée à l'Institut de veille sanitaire (InVS). Ce registre permettrait d'identifier les cancers les plus fréquents dans les professions les plus exposées aux pesticides et faciliterait la recherche d'un lien entre l'utilisation de ces produits et les pathologies constatées

Des tests rendus publics

La question de l'évaluation initiale de la dangerosité des pesticides, avant l'obtention des AMM, n'a pas été oubliée. "Aujourd'hui, les firmes financent elles-mêmes leurs études, déplore Nicole Bonnefoy. Les agences sanitaires ne font qu'évaluer les résultats fournis. Les tests ne sont pas publics, sous couvert de secret industriel. Les AMM ne sont pas obtenues sur la réalité du produit, avec ses adjuvants et solvants, et ne prennent pas en compte les effets cocktails. Et il n'y a aucun suivi. Cela fait beaucoup !" Selon l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), qui regroupe les fabricants de pesticides, le coût des tests évaluant les effets d'un seul produit sur la santé avoisine les 100 millions d'euros. La mission propose que ces tests soient toujours financés par les industriels, mais via "un fonds non géré par eux", lequel ferait appel à des laboratoires indépendants. Les tests seraient rendus publics et les fabricants de pesticides obligés de signaler tout incident, "y compris ceux survenus à l'étranger", sous peine de sanction. Une AMM, aujourd'hui valable dix ans, serait réexaminée au bout de cinq ans.

Des autorisations de mise sur le marché plus protectrices ?
Ivan du Roy

Le 29 octobre dernier, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a rendu un avis qui pourrait être le premier d'une longue liste, visant à durcir, pour les produits phytosanitaires, les conditions d'autorisation de mise sur le marché (AMM). L'Anses recommande d'intégrer un nouveau critère pour l'obtention des AMM : la fourniture par les industriels des résultats des tests de leurs produits sur les équipements de protection individuelle (EPI) destinés à protéger les utilisateurs.

Jusqu'à présent, les avis favorables à la commercialisation d'un produit précisaient le type de protection nécessaire - gants, masque, combinaison - censée rendre le risque acceptable pour l'utilisateur. Le niveau de sécurité et le "facteur d'abattement" du risque auxquels devaient correspondre ces équipements étaient calculés selon des modèles théoriques. "Cependant, les données expérimentales sur lesquelles sont fondés les modèles d'exposition ne permettent pas toujours d'associer avec certitude la protection nécessaire à un type d'équipement de protection disponible sur le marché", note l'Anses. En clair : le produit est mis sur le marché, mais rien ne garantit que l'EPI adapté existe. La sécurité des salariés et exploitants agricoles n'est donc pas assurée.

Sujet prioritaire

Combler cette faille, révélée par Santé & Travail1 , est devenu "un sujet prioritaire, et symbolique de ce que peut offrir l'Anses", souligne Marc Mortureux, son directeur général. Ce premier avis n'est que la pièce d'un travail plus global. Avec l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea, ancien Cemagref), l'agence s'est lancée dans un inventaire de tous les EPI existants et commence à réaliser ses propres tests. Une évaluation de l'exposition aux pesticides des différents métiers et activités agricoles est aussi menée. Suite à ce premier avis, la balle est dans le camp des gestionnaires du risque. "Les ministères de l'Agriculture et du Travail réfléchissent aux types d'exigences complémentaires que les industriels auront à fournir, indique Marc Mortureux. Notre but est d'aboutir à des normes qui ont le niveau d'exigence requis pour les usages agricoles." Y compris au niveau européen. "Nous n'avons pas encore complètement abouti, mais j'ai le sentiment que cela avance", déclare le directeur général.

  • 1

    "Une faille dans l'autorisation des pesticides", Santé & Travail n° 75, juillet 2011.

Deux sites de production ont été visités par les sénateurs : celui du groupe allemand Bayer à Villefranche-sur-Saône (Rhône) et celui de la PME française De Sangosse à Agen (Lot-et-Garonne). "Aucune maladie professionnelle due aux produits phytosanitaires n'a été constatée parmi les salariés des adhérents de l'UIPP", relève le rapport. Les sénateurs citent une étude de l'UIPP, réalisée auprès d'une partie de ses adhérents, qui "met en évidence la faible occurrence des accidents du travail avec arrêt". Mais la mission ne s'est pas contentée de cette autoévaluation. Elle s'est préoccupée de la situation des intérimaires, qui pourraient, par méconnaissance des règles de sécurité, "s'exposer eux-mêmes aux matières dangereuses", en pointant leur manque de formation. Une série de mesures visant à améliorer la sécurité des salariés et leur suivi médical est aussi préconisée dans le rapport, comme accroître le rôle des CHSCT sur les sites classés Seveso ou écarter des chaînes de production les femmes enceintes. La mission propose en outre la généralisation d'un dossier médical pour chaque salarié, traçant ses expositions et conservé pendant plus de cinquante ans, ainsi que la réalisation d'au moins un examen annuel dans le cadre de la surveillance médicale renforcée.

Améliorer la protection des utilisateurs

Une fois sortie des ateliers, pour poursuivre ses investigations auprès des utilisateurs de pesticides, issus à 90 % du secteur agricole, la mission a été confrontée à une autre surprise. Sophie Primas et Nicole Bonnefoy ont toutes deux été "choquées" par les nombreuses failles relevées dans la protection des utilisateurs de pesticides, en comparaison des niveaux de précaution pris en amont par les industriels du secteur pour leurs propres salariés. "Dans les ateliers, l'air est aspiré continuellement. La sécurisation pour éviter tout contact est maximum. Ensuite, ces mêmes produits arrivent sur les étals des grands magasins, sans aucune formation ni données d'utilisation pour l'agriculteur ou le particulier", constate Nicole Bonnefoy. Les parlementaires s'étonnent que l'existence d'équipements de protection adaptés aux produits ne fasse pas partie des critères d'AMM et préconisent d'y intégrer des "précisions sur la nature exacte des équipements de protection individuelle à utiliser et sur leurs conditions d'emploi", y compris leur durée, parfois courte, d'efficacité. Une proposition qui fait écho au récent avis de l'Anses sur le sujet (voir ci-dessous).

Le rapport a été remis à l'ensemble des ministres concernés par les recommandations : celui de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, qui prépare sa "loi d'avenir", mais aussi ceux de la Santé, de la Consommation et de la Justice. Il fera l'objet d'une séance publique au Sénat en janvier. "Il y a de très bonnes choses dans ce rapport. Maintenant, il faut qu'il vive et que des propositions de loi soient déposées", espère François Veillerette, porte-parole de Générations futures, association qui milite pour une alternative aux pesticides. "Aucune recommandation n'est mise de côté, insiste-t-on au cabinet de Stéphane Le Foll. Certaines sont déjà intégrées dans les inflexions que le ministre a données au plan Ecophyto 2018." Ce plan, issu du Grenelle de l'environnement, vise à réduire de moitié l'usage des pesticides dans l'agriculture. C'est aussi au niveau européen que l'action du ministre sera déterminante. En effet, le durcissement des AMM dépend de la Commission européenne. C'est aussi à Bruxelles que se prépare, pour la fin de l'année, la liste des perturbateurs endocriniens à proscrire, très présents dans les pesticides.

  • 1

    Voir "Le porte-parole des "phyto-victimes"", Santé & Travail n° 79, juillet 2012.

En savoir plus
  • Pesticides : vers le risque zéro, par Nicole Bonnefoy, rapport d'information n° 42, Sénat, octobre 2012. Document disponible sur le site du Sénat : www.senat.fr