Pour un grenelle du travail

par François Desriaux rédacteur en chef / juillet 2012

Alors que beaucoup d'observateurs avaient parié que la santé au travail serait un des thèmes forts de la campagne présidentielle, il n'en a rien été. La crise de la dette et les menaces d'une avalanche de plans sociaux ont eu raison de la fameuse valeur travail. Certes, comme tous les candidats, le nouveau président de la République a été interrogé sur ses intentions dans ce domaine. Mais à part une critique de la réforme des services de santé au travail, François Hollande a renvoyé le sujet à la conférence sociale de l'été. Sauf que, là encore, trois thèmes vont dominer ce grand débat : l'emploi, les retraites et le pouvoir d'achat. Les conditions de travail y figurent, mais sous la dénomination " qualité de vie au travail ", coincée derrière l'égalité professionnelle. On ne peut s'empêcher de penser que, dans l'esprit de nos nouveaux dirigeants, s'il est politiquement correct de ne pas oublier les conditions de travail quand on se veut de gauche, leur amélioration reste subordonnée à des lendemains qui chantent.

Et si, au contraire, l'amélioration des conditions de travail n'était plus considérée comme un bonus que l'on s'accorde quand on a réglé tout le reste, mais plutôt comme ce par quoi il faut commencer ? Et si le vrai changement consistait à penser autrement, à inventer une politique du travail et pas seulement une politique de l'emploi ? Si on reprend les trois thèmes forts de la conférence sociale, un tel raisonnement conduirait par exemple à mettre en avant la question de la pénibilité pour reconsidérer la réforme des retraites. Ainsi, au-delà du sort des " carrières longues ", la justice sociale commanderait de bonifier les années d'exposition au travail de nuit, aux cancérogènes ainsi qu'aux postures pénibles et port de charges lourdes, puisqu'on sait que ces contraintes réduisent l'espérance de vie. Concernant l'emploi, la logique des conditions de travail imposerait de raisonner autant sur la qualité que sur la quantité. Les contraintes de travail, physiques et psychiques, de nombreux emplois ne permettent pas aujourd'hui à tous les salariés de tenir sur toute leur carrière. Résultat : la gestion des salariés devenus inaptes à leur poste devient une mission impossible pour les médecins du travail. On ne sortira pas de cette situation sans une politique ambitieuse mariant incitations, aides financières, soutien technique et obligations, afin que les entreprises garantissent aux salariés des emplois qui n'usent pas avant l'âge, ou qu'elles gèrent autrement le maintien dans l'emploi des salariés vieillissants ou malades. Quant aux salaires, enfin, le coup de pouce au Smic, quelle que soit sa force, ne devrait pas masquer le problème des salariés - essentiellement des femmes - à temps partiel imposé. Leurs conditions de travail, de même que leurs horaires, les empêchent d'occuper un autre emploi et les confinent dans la pauvreté.

Sur ces sujets, mais aussi sur l'épidémie de troubles musculo-squelettiques que vingt ans de prévention n'ont pas réussi à endiguer, ou encore sur le développement de la souffrance au travail, il faudra plus qu'un item ajouté au programme d'une conférence sociale. Un Grenelle du travail, à l'instar de celui sur l'environnement du quinquennat précédent, qui ne se résumerait pas à une opération de communication, marquerait un vrai changement.