© Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Rapport Lecocq : le malaise des agents de la Sécu persiste

par Clotilde de Gastines / 26 novembre 2018

Une nouvelle note de la direction des Risques professionnels de la Sécu détaille ses craintes d’une séparation des missions de contrôle et de conseil envisagée dans la prochaine réforme de la santé au travail. Pas du tout du goût des partenaires sociaux.

La direction des Risques professionnels (DRP) de l’Assurance maladie se débat pour que la réforme programmée de la santé au travail ne touche pas aux missions de contrôle des services prévention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), comme le propose le rapport Lecocq1 . Ce dernier, dévoilé fin août sur notre site, devrait servir de fil conducteur à la négociation interprofessionnelle qui devrait s’ouvrir sur ce thème dès que la lettre de cadrage élaborée par Matignon sera adressée aux partenaires sociaux, avant un projet de loi au premier trimestre 2019.
Santé et Travail a pu consulter une nouvelle note confidentielle issue de la DRP, qui met l’accent sur sa volonté de préserver sa « mission d’assureur public de la santé au travail ». Celle-ci revient, de façon didactique et sur huit pages d’explications, sur ses craintes vis-à-vis de la séparation envisagée des missions de contrôle et de conseil de ces services prévention. Elle détaille en quoi cette perspective de réforme serait problématique pour sa mission d’assureur. Une position qui enfonce donc le clou par rapport à la première note confidentielle dont Santé et Travail s’était fait l’écho en octobre dernier. Cette initiative a été fermement et unanimement condamnée par les partenaires sociaux lors de la réunion du 14 novembre de la Commission accidents du travail-maladies professionnelles (CAT-MP), le conseil d’administration de la branche AT-MP de la Sécu (voir encadré ci-dessous).

Sévère mise en garde des partenaires sociaux

Le 14 novembre dernier, à l’occasion de la réunion de la Commission accidents du travail-maladies professionnelles (CAT-MP, le conseil d’administration de la branche AT-MP de la Sécurité sociale), les partenaires sociaux  ont lu la déclaration suivante :
« Lors d'une récente audition au Sénat, la DRP a exprimé publiquement, sans respect des temps politiques, de très fortes réserves sur le rapport d’une députée remis au Premier ministre le 28 août 2018. Alors que le gouvernement a annoncé une réforme globale de la santé au travail, les partenaires sociaux sont dans l’attente d’un document de cadrage pour l’engagement d’une négociation interprofessionnelle.
Nous souhaitons faire part, au nom de l’ensemble de la gouvernance de la Commission AT-MP, de notre étonnement et de notre désapprobation d’un tel positionnement de la DRP qui bafoue les règles interministérielles.
En tout état de cause, cette position relayée par la presse ne saurait engager la gouvernance de la branche AT-MP.
D’une part, la CAT-MP avait, lors de ses dernières réunions, justement souhaité qu'il soit observé la plus grande réserve sur ce dossier relevant de la concertation entre le Gouvernement et nos organisations représentatives nationales et interprofessionnelles. Or la prise de position publique de la DRP contrevient à cette décision et introduit de facto une ambiguïté semblant engager la gouvernance de la CAT-MP. La preuve, certains d’entre nous ont été interrogés en ce sens et ont dû s’en défendre.
Nous avons toujours dit qu’il fallait laisser les confédérations de chacune de nos organisations se prononcer et mener la négociation politique en dehors des considérations des différents organismes susceptibles d’être impactés par la future réforme.
D’autre part, des notes très anxiogènes, distribuées dans le réseau sans information préalable des partenaires sociaux de la CAT, alimentent les inquiétudes des Carsat alors même qu'elles doivent être pleinement mobilisées sur les objectifs ambitieux impulsés par les partenaires sociaux en matière de prévention dans le cadre de la COG.
Ces éléments non exhaustifs illustrent un dysfonctionnement pérenne du non-respect du paritarisme.
Les partenaires sociaux considèrent que les conditions de la confiance ne sont pas réunies. Pour reprendre des propos tenus ce matin en séminaire, on pourrait qualifier cette situation en trois mots : contretemps, contradiction, signal négatif. »

Mêmes prérogatives que les inspecteurs du travail

Ce nouveau texte détaille la formation ainsi que les conditions d’embauche et d’agrément des 1 420 agents des Carsat, des caisses régionales (Cram) et des caisses générales de sécurité sociale (CGSS). Elle rappelle que ces derniers ont les mêmes prérogatives que les inspecteurs du travail : un accès aux entreprises sans restriction possible sous peine de délit d’entrave, un droit soumis au secret professionnel, avec prestation de serment au tribunal d’instance.
Puis la note insiste sur la mission des préventeurs. « Les agents ciblent les entreprises à risques qui génèrent des sinistres, dans un souci d’efficacité », souligne-t-elle. Si le résultat paraît mince, vu que les agents des Carsat voient seulement 3 % des entreprises, il est « cohérent avec les moyens dédiés » et « ces entreprises représentent 28 % des sinistres et 33 % des dépenses de la branche ». Les agents ont la possibilité de donner des injonctions aux employeurs (en moyenne 1 000 par an), qui entraînent une majoration de cotisation (10 millions d’euros par an). En cas de mise en œuvre de mesures vertueuses, les agents peuvent appliquer une ristourne (15 millions d’euros par an).

« Intrication nécessaire »

Ces chiffres visent à appuyer la démonstration. « Contrairement à l’affirmation du rapport Lecocq, les fonctions de contrôle et de conseil sont intimement liées », écrit l’auteur de la note, en faisant référence aux recommandations du Bureau international du travail (BIT) sur cette « intrication nécessaire ». Il ajoute que « cette obligation de contrôle induit une obligation d’action » : « Il n’apparaîtrait pas logique qu’un ingénieur-conseil ou un contrôleur de sécurité à qui il est porté ou révélé, lors d’une visite d’entreprise par exemple, l’existence d’un risque à même de mettre en péril la sécurité des travailleurs, ne puisse faire montre d’une compétence de contrôle, notamment face à une machine utilisée en fonction dégradée. »
Au-delà des cas particuliers, la note estime que cela correspondrait à l’abandon d’une mission régalienne : « L’idée de séparer strictement prévention et contrôle porte en elle le danger pour les pouvoirs publics de se défaire de toute capacité d’exercer sa responsabilité de police administrative. »

  • 1"Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée", rapport de la mission confiée à Charlotte Lecocq, députée LREM du Nord, Bruno Dupuis, consultant en management, et Henri Forest, ancien médecin du travail et ancien secrétaire confédéral de la CFDT. Ce rapport a été rendu public le 28 août.