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Le tableau noir de l’amiante dans les écoles

par Nolwenn Weiler / 30 juin 2023

Alors qu’une enquête réalisée par les journalistes de l’émission « Vert de rage » révèle que nombre des écoles françaises contiennent toujours des matériaux amiantés, les enseignants et associations de défense des victimes de l’amiante demandent la mise en œuvre urgente de mesures pour éradiquer la fibre tueuse des établissements scolaires.

Interdit en France depuis vingt-cinq ans, l’amiante est encore massivement présent dans les écoles maternelles et primaires, exposant des dizaines de milliers d’enfants et de personnels à ses dangers. C’est ce que révèle la grande enquête menée pendant huit mois par les journalistes de l’émission « Vert de rage » de France Télévisions sur la présence d’amiante dans les écoles. Près de 50 000 écoles ainsi que les 35 000 mairies qui en ont la responsabilité ont été contactées. Faute de réponse des mairies, les données ne sont disponibles que pour 19 331 écoles parmi lesquelles 5 507 (soit 28,4 %) contiennent des matériaux amiantés. « Ce qu’il y a de plus saisissant dans cette enquête, c’est l’omerta, souligne Alain Bobbio de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). Dans les écoles et les mairies, des personnes ont été sommées de ne rien dire aux journalistes. Sur les 100 plus grandes villes de France, seulement sept ont joué la transparence au regard de la situation des matériaux amiantés dans leurs écoles. »

Omerta sur le risque

Il reste difficile de connaître précisément les endroits où se loge la fibre tueuse, car nombre d’établissements n’ont pas de dossier technique amiante (DTA) alors qu’il est obligatoire pour les bâtiments construits avant 2017. Selon les enquêteurs de « Vert de rage », 20 % des écoles sont dépourvues de DTA. Mais une autre enquête, réalisée en 2019 dans 175 écoles par les inspecteurs santé et sécurité au travail (ISST) de l’Education nationale révèle des chiffres bien plus élevés, avec 46 % des établissements dépourvus de DTA. Et quand ces documents existent, les mairies rechignent à les communiquer. Cyril Verlingue, enseignant membre du Snes-FSU et de l’association Urgence amiante écoles l’a constaté à maintes reprises. « Je dois parfois insister pendant plus d’une heure auprès des services techniques des mairies pour accéder au DTA, alors qu’ils sont pourtant obligés de le tenir à disposition du public », explique-t-il. « Quand on finit par nous remettre les DTA, ils sont souvent incomplets », ajoute Nathalie Laclau, enseignante et présidente de l’Association des victimes de l’amiante dans les locaux de l’éducation dans les Bouches-du-Rhône (Avalé 13).

Des atteintes professionnelles sous-estimées

L’absence des DTA ou leurs lacunes rendent les démarches de reconnaissance en maladie professionnelle encore plus compliquées pour les victimes. « Nos travaux ne font pas partie de ceux inscrits dans les tableaux de la Sécurité sociale, souligne Cyril Verlingue. Il nous revient ainsi d’apporter la preuve de nos expositions. » Sans DTA, c’est très difficile, d’autant qu’il existe une représentation faussée du risque amiante. « On perçoit clairement ce risque pour des ouvriers qui manient la scie, la ponceuse ou la meuleuse. Mais on ne l’imagine pas pour les enseignants », pointe Alain Bobbio. Pas plus que pour les personnes chargées de l’entretien des locaux scolaires. « Quand on est enseignant et qu’on tousse, on se dit que ce sont les petits qui nous ont filé leur rhume, continue Nathalie Laclau. C’est encore arrivé récemment à une collègue, elle a finalement découvert qu’elle a des nodules aux poumons et des plaques pleurales. Pour elle, ça a été un coup de massue : elle pensait à tout sauf à l’amiante. » Le risque est pourtant réel : entre 20 à 60 agents de l’Education nationale obtiennent chaque année la reconnaissance en maladie professionnelle de leur mésothéliome, d’après les chiffres publiés en 2019 par Santé publique France. « Il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg, étant donné le parcours d’obstacles pour monter les dossiers », estime Cyril Verlingue.

La nécessité d'un plan d'urgence

« Il faut que l’éradication de l’amiante dans les écoles devienne une priorité nationale, avec des moyens financiers, insiste Alain Bobbio. De nombreuses communes ne peuvent faire face, seules, aux coûts importants du désamiantage de leurs écoles. » Les associations et syndicats réclament aussi la mise en place d’un plan d’urgence intégrant une formation des personnes dédiées à la maintenance et l’entretien des locaux scolaires. « Le gars qui intervient pour changer la dalle de sol ne sait pas forcément qu’elle contient de l’amiante et ne prendra pas de précaution particulière, observe Alain Bobbio. Il ignore encore plus souvent que la colle qui est dessous est aussi amiantée. Résultat : il prend une raclette ou une ponceuse et il va en mettre partout. » De même, les femmes de ménage sont encore nombreuses à utiliser des monobrosses, alors que l’abrasion provoquée par ces machines est pourtant connue pour mettre en suspension les fibres d’amiante. « Nous demandons au ministère de fournir des fiches d’exposition à l’amiante et un suivi médical adapté aux personnels, ajoute Cyril Verlingue. Mais pour cela, il faudrait embaucher des médecins du travail. L'Education nationale n’en compte que 60 pour 1,2 million d’agents. Et certaines académies n’ont même plus d’inspecteur santé sécurité. »

Une métrologie inadaptée

Autre demande importante : la révision de la réglementation concernant la métrologie de l’amiante. « Pour le moment, le Code du travail ne reconnaît que les mesures d’empoussièrement, détaille Cyril Verlingue. Nous aimerions que soient ajoutés les prélèvements surfaciques, aux sols, dans les dortoirs, sur les tables… sinon, on a vraiment un trou dans la raquette. » Les mesures d’empoussièrement sont effectuées à hauteur d’adultes, en position debout, alors que les personnels de maternelle sont souvent plus proches du sol, aux côtés des enfants. « Ces mesures ne sont pas du tout adaptées aux écoles. Qui plus est, elles sont utilisées pour dissuader les enseignants de faire jouer leur droit de retrait », renchérit Nathalie Laclau. Dans l’enquête réalisée par « Vert de rage », sur 14 écoles étudiées, 11 prélèvements surfaciques ont révélé la présence d'amiante. Les risques réels sont sans doute supérieurs à ceux qui sont évalués par les simples mesures d’empoussièrement, surtout dans les écoles où les fibres d’amiante sédimentées sur les surfaces peuvent facilement être remises en suspension par les jeunes enfants qui jouent, sautent et se bousculent. 

De fortes disparités régionales
Nolwenn Weiler

C’est en Bretagne et en Ile-de-France que l’on retrouve les plus hauts pourcentages d’écoles contenant des matériaux amiantés (37 % et 36 %). Ces deux régions sont talonnées par le Grand-Est et les Pays-de-la-Loire où 35 % des écoles sont amiantées. Les moins mauvaises élèves sont les régions Paca, Bourgogne et Nouvelle-Aquitaine (25 % des écoles amiantées) et l’Occitanie (21 % des écoles amiantées). « La majorité des mairies n’ayant pas répondu à notre enquête, ces chiffres sont très probablement sous-estimés », préviennent les enquêteurs de l'émission « Vert de rage » de France Télévisions. Ils précisent que « lorsqu’un DTA est réalisé, il révèle la présence de matériaux amiantés dans 52 % des cas ». L’enquête réalisée en 2016 par l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement (ONS) donne des chiffres bien plus élevés avec 38 % des écoles primaires et maternelles contenant de l’amiante. La présence d’amiante est encore plus importante dans les établissements du secondaire : 73 % des collèges, 77 % des lycées généraux et 80 % des lycées professionnels sont concernés. Créé en 1995, l’ONS a été supprimé par le précédent ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer. Le Snes-FSU demande son rétablissement, notamment pour assurer le suivi du dossier amiante.

A CONSULTER
  • En collaboration avec les équipes de « Vert de rage », France Info a publié un moteur de recherche inédit, permettant de connaître la situation d'une école concernant l'amiante.