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Apprentis : s'appuyer sur les pairs pour agir en prévention

par Rozenn Le Saint / 09 septembre 2025

Pour sensibiliser les jeunes à la prévention des cancérogènes au travail, il faut adapter la démarche et les outils. Retour sur l'expérimentation du Giscop 93 qui a réussi à initier une participation active des élèves de plusieurs centres de formations des apprentis.

Plongés très tôt dans le monde du travail où ils doivent faire leur trou en position de subordonnés, les apprentis ont tendance à minimiser les risques professionnels. La prévention des risques leur paraît bien secondaire. C’est ce qu’ont constaté les chercheurs du Giscop 93, et plus précisément ceux du projet de recherche-action PrévCAP'Pairs (pour Prévenir les expositions professionnelles des apprentis par une recherche interventionnelle basée sur la pair-aidance) lancé en 2018. « Notre enquête montre que les jeunes font face à des conditions de travail difficiles, à des injonctions à la productivité et à un besoin de prouver qu’ils méritent leur place. Cela façonne leur rapport à la prévention des risques professionnels », retient Andrea Tadeo Granda, doctorante en sociologie à l’Université Paris Dauphine, l’une des chargées d’étude du projet, financé par l'Institut national du cancer (Inca). 

L’équipe de chercheurs s’est penchée sur la situation de jeunes dans deux centres de formations d’apprentis (CFA). Elle a suivi sur deux ans des élèves de la filière maintenance automobile (carrosserie et mécanique) et beauté (coiffure et esthétique). Elle s’est aperçue que 70% des jeunes interrogés qui avaient entamé leur vie professionnelle par la voie de l’apprentissage n’avaient jamais vu la médecine du travail. La plupart ne savaient pas qu’une visite médicale d’information et de prévention est obligatoire avant la prise de poste de mineurs.

Allergies d’aujourd’hui et cancers de demain

L’apprentissage peut démarrer dès 15 ans. Or, plus on est jeune, plus les corps encore en construction sont vulnérables face aux risques professionnels. Et plus on est jeune, plus le rapport aux risques est biaisé, tant ils apparaissent lointains, notamment s’agissant de l’apparition de cancers. Pourtant, les données du Giscop 93 montrent que les personnes atteintes de cancers bronchopulmonaires et urinaires notamment ont souvent été exposées dès leur plus jeune âge, avec des effets qui arrivent à retardement, parfois même à la retraite.

Pour éveiller la prise de conscience des apprentis, l’équipe a misé sur un premier levier : partir d’un risque concret avec des conséquences qui peuvent apparaître dans le temps présent ou peu éloigné, comme les allergies auxquelles ils sont susceptibles d’être déjà confrontés, pour élargir ensuite le sujet aux autres dangers de l’exposition aux produits chimiques, tels que les cancers. Ce détour par l’allergie a touché juste. Sept apprenties en salons de coiffure sur dix déclaraient souffrir d’eczéma ou de plaques dans les huit premiers mois d’apprentissage et quatre sur dix, être concernées par des allergies respiratoires liées aux produits chimiques utilisés.

« Peu dapprenties déclarent disposer d’équipements de protection individuelle adaptés en entreprise, et les moyens de protection collective, comme les hottes aspirantes dans les salons de coiffure, sont souvent absents ou méconnus. En beauté, le confort des clients et les normes esthétiques priment sur le port des protections, même si les apprenties subissent rapidement les effets du contact répété avec les produits. Exerçant un métier tourné vers le bien-être, elles banalisent ces atteintes à leur santé et peinent à intégrer que des produits présentés comme non nocifs pour la clientèle peuvent l’être pour celles qui les manipulent à répétition », observe Andrea Tadeo Granda.

Co-construire les outils

Le deuxième levier d’action pour intéresser les apprentis aux risques chimiques plus généraux qui pourraient les affecter à l’avenir a consisté à s’appuyer sur leurs pairs, jeunes ou anciens professionnels. Cela passe notamment par des témoignages d’ex-coiffeuses et esthéticiennes, un moyen efficace d’aborder l’aspect cancérigène. « Il est plus difficile de sensibiliser les jeunes aux risques pouvant entraîner des atteintes à la santé à effet différé, telles que celles liées à l’utilisation de produits chimiques. Ils ne se projettent pas dans l’avenir et sont davantage réceptifs aux risques évidents daccidents », remarque Olivier Macaire, responsable du pôle formation en santé et sécurité au travail à l’Institut national de recherche et sécurité, l’INRS, partenaire de l'expérimentation.

L’équipe de PrévCAP'Pairs a justement sollicité l’INRS pour l’aider à mieux attirer l’attention des élèves en formation professionnelle sur le risque chimique et ainsi, actionner un troisième levier d’action : la co-construction d’outils de sensibilisation, qui permet de les rendre acteurs de la prévention et de retenir davantage l’intérêt d’en appliquer les mesures. « S’agissant des troubles musculosquelettiques, il faut que les jeunes prennent conscience des conséquences sur leur santé pouvant notamment entraîner une perte d’emploi dans quelques années s’ils n’utilisent pas les moyens de prévention comme les aides à la manutention », souligne Olivier Macaire.

Kits pédagogiques

Pour ce faire, un kit de prévention à destination des apprentis et des enseignants a été élaboré, au moyen de jeux. Dans le cas de la coiffure et de l’esthétique, des vidéos de sensibilisation ont été réalisées par les apprenties. Dans le secteur automobile, un calendrier de la prévention a été créé pour mettre en avant les bons et mauvais gestes. Ces outils ont été présentés à l’occasion du colloque « Protéger la santé des jeunes travailleuses et travailleurs » qui s'est tenu ces 8 et 9 septembre 2025 au Campus Condorcet à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. 

Quoi qu’il en soit, à l’issue des deux ans d’apprentissage, l’évaluation du résultat des interventions PrévCAP'Pairs a montré que, si la sensibilisation avait bien été réalisée auprès des élèves, la mise en pratique se révélait malheureusement souvent difficile, voire incompatible avec les impératifs de production. D’où l’intérêt de travailler la prévention des risques, en parallèle, avec les professionnels qui les accueillent en entreprise.

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