© Benjamin Tejero

Nuisances sonores : un risque à bas bruit

par Nathalie Quéruel / juillet 2022

C’est un risque professionnel aussi vieux que l’industrie mais qui, depuis plusieurs années, passe sous les radars de la prévention. Certes, l’exposition au bruit n’est pas mortelle. Mais elle endommage chaque année, sans que personne s’en émeuve, les capacités auditives d’environ 26 000 salariés, dont une infime partie seulement – 500 personnes – voit cette atteinte reconnue en maladie professionnelle. Sans compter que les assignés à l’open space, de plus en plus nombreux, éprouvent des nuisances sonores causant non seulement de la gêne dans l’exécution de leurs tâches, mais aussi de la fatigue, des troubles du sommeil et, partant, d’autres problèmes de santé, comme des pathologies cardiovasculaires.
Cette banalisation du « risque bruit » est d’autant moins acceptable que la technologie pour faire la guerre aux décibels a fait des progrès. Il n’est pas d’usines, d’ateliers de fabrication, de crèches ou de bureaux partagés qu’on ne puisse isoler phoniquement. Mais cette prévention collective – qui devrait légalement s’imposer en priorité – n’a pas la faveur des employeurs, qui croient remplir leurs obligations réglementaires en misant sur les casques antibruit et autres bouchons d’oreille. Or, on connaît les limites de ces équipements de protection individuelle, que les salariés enlèvent de temps à autre, parce qu’ils sont inconfortables ou entravent les échanges avec des collègues. Pourtant, et ce dossier le montre, il est possible de faire baisser d’un ton les lieux de travail, au bénéfice de tous.

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Insonorisation à la source dans l’industrie pharmaceutique

par Eliane Patriarca / juillet 2022

Une ligne de production assourdissante, des plaintes récurrentes chez les opérateurs : à Amiens, l’entreprise pharmaceutique Unither a mis en place une démarche ergonomique pour rendre la fabrication de ses unidoses stériles moins sonore.

Un « irritant social » : c’est ce qu’était devenu le bruit au sein du laboratoire Unither, basé à Amiens et spécialisé dans la production d’unidoses stériles. En 2018, lorsque Constance Macrez, ingénieure hygiène, sécurité, environnement (HSE), s’est saisie de cette question, « il n’y avait pas de maladies professionnelles ni d’atteinte de l’audition chez les salariés mais la nuisance sonore était à l’origine de plaintes récurrentes depuis 2015 ». Une étude menée en 2014 par le service de médecine du travail avait d’ailleurs montré que pour cinq des quinze lignes de production où sont conditionnés les produits, le niveau sonore se situait entre 80 et 88 dB(A)1 , alors que la valeur limite d’exposition professionnelle imposant une action corrective immédiate se situe à 85 !
A la suite de cet état des lieux, des panneaux de signalisation avaient été posés dans les zones dites bruyantes, notamment pour rappeler aux opérateurs de porter les bouchons d’oreille fournis par l’entreprise. Mais sur l’une des lignes, ces derniers continuaient à souffrir du bruit. D’autant qu’en 2016, une nouvelle chaîne de fabrication avait été installée tout près, augmentant encore le niveau sonore dans leur zone de travail. L’ingénieure HSE a alors monté un groupe, associant des ouvriers volontaires et deux représentants de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), pour évaluer la nuisance sonore et mettre en place une action corrective : « La ligne concernée comporte trois postes : opérateur-régleur, conducteur de ligne et agent de conditionnement, explique-t-elle, soit une quinzaine de salariés travaillant en 5x8. »2

Écouter le ressenti des opérateurs

En septembre 2018, Stéphane Tirlemont, contrôleur sécurité au centre de mesures physiques de la Carsat Hauts-de-France, se rend sur place : « Nous avons déployé nos moyens d’analyse acoustique et spectrale afin de mesurer les niveaux et les phases d’exposition, analyser la nature du bruit, identifier sa source, tout en étudiant l’organisation de travail. » Opérateur sur cette ligne depuis 2017, Frédéric Dromas se souvient avoir « expliqué de A à Z, avec les collègues, les opérations réalisées, les déplacements, et ce qu’il nous semblait possible de faire pour réduire la nuisance sonore ». Cette phase a permis aux contrôleurs sécurité d’établir un rapport technique, dressant une cartographie du bruit, avec des solutions à la clé.
Le document vient étayer la démarche ergonomique, présentée au CHSCT, validée par les salariés et la direction de l’entreprise. Laquelle a débuté par un questionnaire, afin d’analyser situations de travail et ressenti des opérateurs. « On leur demandait si, selon eux, le bruit constituait un risque pour la santé, à quel point il les dérangeait, s’ils portaient bien les bouchons d’oreille, etc. », précise Constance Macrez. Pour tous les salariés interrogés, le bruit constitue le risque le plus important sur la ligne en termes de santé et sécurité : 47 % le trouvent gênant et 11 % extrêmement gênant ; mais simultanément, seuls 26 % portent leurs bouchons d’oreille « tout le temps », et 53 % « jamais ». « La plupart les trouvaient inconfortables, ou se plaignaient de ne plus entendre les alertes sonores, même si, de fait, il existe aussi des alertes lumineuses sur les machines », explique l’ingénieure HSE.
L’entreprise a donc décidé d’équiper ses opérateurs de « bouchons moulés », c’est-à-dire réalisés à partir de l’empreinte de l’oreille, plus commodes à porter. En théorie, « face à un risque bruit, il est facile de protéger l’audition des personnes grâce à un casque ou des bouchons d’oreille, souligne Stéphane Tirlemont. Mais généralement, le port permanent de ces équipements est une contrainte et une entrave à la communication avec les collègues. Notre travail consiste à rechercher parmi des solutions techniques plus globales la plus adaptée au vécu de travail des salariés, la plus acceptable, pour qu’elle fonctionne réellement. »

Cloisons isolantes

L’action corrective proposée par la Carsat et retenue par l’entreprise a consisté à isoler la zone la plus assourdissante de la ligne de production, un petit couloir dans lequel « sont décarottés et broyés les cadres de polyéthylène, le matériau plastique utilisé pour former les unidoses », décrit le contrôleur sécurité. Fin 2021, des cloisons spéciales ont été installées. Coût : 26 000 euros, entièrement à la charge d’Unither. Car la société, employant 1 500 personnes, dont 360 à Amiens, n’est pas éligible aux subventions sur la prévention de la Carsat, destinées en priorité aux TPE.
Le gain a été immédiat. Acoustiquement d’abord : « Le niveau sonore est passé de 85,4 à 80,7 dB(A) pour cette partie », précise Stéphane Tirlemont. Au niveau du ressenti des opérateurs ensuite : interrogés de nouveau, 86 % se disent satisfaits de la solution trouvée ; ils ne sont plus que 50 % à trouver que le bruit est le risque le plus important et 8 % à le trouver extrêmement gênant. Constance Macrez se félicite aussi de constater que les opérations de sensibilisation ont donné des résultats : « 55 % des salariés interrogés portent désormais tout le temps leurs bouchons d’oreille. »
Le dossier bruit n’est pas clos pour autant. « On espérait que le cloisonnement aurait plus d’impact, constate à regret Frédéric Dromas. Mais dans la zone du broyeur, il faut vraiment garder les portes fermées pour diminuer le bruit à l’intérieur ; et sur le reste de la ligne, le niveau sonore demeure important. » Constance Macrez le reconnaît : « Il reste une machine trop bruyante sur cette chaîne de production, le détecteur de fuites. On le remplacera dès que possible. » Des mesures acoustiques vont aussi être réalisées sur les autres lignes de l’usine. « Le bruit n’est pas une fatalité, il y a toujours quelque chose à faire pour le réduire, encourage Stéphane Tirlemont. Cela va de l’action corrective à la prévention, par exemple lors de l’achat des machines et de l’aménagement des locaux. » Sans oublier la maintenance des machines, pour éviter les bruits de moteurs usés ou de roulements qui grincent.

  • 1Le décibel pondéré A ou dB(A) est utilisé pour mesurer les bruits environnementaux.
  • 2Le système en 5x8 consiste à faire tourner par roulements de huit heures consécutives cinq équipes sur un même poste, afin d’assurer un fonctionnement continu, y compris le week-end.