© Benjamin Tejero

Nuisances sonores : un risque à bas bruit

par Nathalie Quéruel / juillet 2022

C’est un risque professionnel aussi vieux que l’industrie mais qui, depuis plusieurs années, passe sous les radars de la prévention. Certes, l’exposition au bruit n’est pas mortelle. Mais elle endommage chaque année, sans que personne s’en émeuve, les capacités auditives d’environ 26 000 salariés, dont une infime partie seulement – 500 personnes – voit cette atteinte reconnue en maladie professionnelle. Sans compter que les assignés à l’open space, de plus en plus nombreux, éprouvent des nuisances sonores causant non seulement de la gêne dans l’exécution de leurs tâches, mais aussi de la fatigue, des troubles du sommeil et, partant, d’autres problèmes de santé, comme des pathologies cardiovasculaires.
Cette banalisation du « risque bruit » est d’autant moins acceptable que la technologie pour faire la guerre aux décibels a fait des progrès. Il n’est pas d’usines, d’ateliers de fabrication, de crèches ou de bureaux partagés qu’on ne puisse isoler phoniquement. Mais cette prévention collective – qui devrait légalement s’imposer en priorité – n’a pas la faveur des employeurs, qui croient remplir leurs obligations réglementaires en misant sur les casques antibruit et autres bouchons d’oreille. Or, on connaît les limites de ces équipements de protection individuelle, que les salariés enlèvent de temps à autre, parce qu’ils sont inconfortables ou entravent les échanges avec des collègues. Pourtant, et ce dossier le montre, il est possible de faire baisser d’un ton les lieux de travail, au bénéfice de tous.

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Décrypter les ondes pour protéger les tympans

par Jean-Luc Dumas, enseignant en sciences physiques au département Hygiène, sécurité et environnement de l’IUT de Bordeaux / juillet 2022

Pour s’attaquer à la prévention des nuisances sonores, mieux vaut maîtriser quelques notions. Car la physique du bruit recèle des chausse-trappes, à l’instar des décibels qui ne s’additionnent pas. Voici un petit précis des connaissances de base.

La définition du mot bruit dans le dictionnaire peut prêter à confusion puisqu’on y parle généralement d’une sensation auditive, qualifiée de désagréable ou gênante. Ce qui laisserait à penser que si un son n’est ni l’un, ni l’autre, il ne serait pas nocif. Ce n’est pas vrai. Ainsi, la dernière tournée du groupe de rock AC/DC en Europe n’a pu se dérouler comme prévu, le chanteur ayant des problèmes de santé liés à la musique amplifiée, lors des répétitions et concerts. Musique qui, pour lui, n’était pas un bruit.
Pour appréhender la question du « bruit au travail », il s’avère utile d’avoir quelques notions élémentaires sur les propriétés physiques qui le caractérisent. Le son, créé par une source (machine-outil, ligne de production, voix dans les open spaces…), génère une onde acoustique qui se propage dans l’espace en transportant une quantité d’énergie acoustique, laquelle provoque une pression au niveau du tympan. C’est cette pression qui peut avoir des conséquences sur la santé auditive des travailleurs. Pour la caractériser, on utilise deux grandeurs principales : l’amplitude ou le niveau, et la fréquence. La première, mesurée en décibels, permet de savoir si le bruit est plus ou moins fort, la deuxième, définie en hertz (Hz), si le bruit est plus ou moins aigu.

« Dose de bruit continu »

Le décret n° 2006-892 relatif aux prescriptions de sécurité et de santé applicables en cas d’exposition au bruit et les articles R. 4431-1 et R. 4431-2 du Code du travail définissent deux paramètres comme indicateurs de risque : tout d’abord, le niveau d’exposition quotidienne, noté « Lex, 8h »1 , dont l’unité de grandeur est donnée en décibels pondérés A, ou dB(A). Le seuil de nocivité est de 80 dB(A), pour une exposition de huit heures par jour. On évalue ainsi une « dose de bruit continu » pour connaître les effets à moyen ou long terme. Le deuxième indicateur renvoie au niveau de pression acoustique de crête, désigné par « Lpc »2 et quantifié en décibels pondérés C. Il s’agit là de mesurer le bruit dit « impulsionnel », c’est-à-dire un son soudain, bref et extrêmement fort, comme celui d’une arme à feu ou d’une soufflette à air comprimé. On évalue alors le nombre de fois où il survient dans une journée pour connaître les effets à court terme. C’est sur ces deux données que reposent les valeurs limites d’exposition professionnelle, à partir desquelles l’employeur doit mettre en place des actions de prévention.

Drôle d'arithmétique

Les décibels ne s’additionnent pas. Une machine ayant un niveau sonore de 80 dB et une autre de 84 dB ne génèrent pas un boucan de… 164 dB ! Deux règles simples sont à retenir : lorsque vous avez deux sources de bruit identiques, le niveau global est augmenté de 3 dB (80 dB + 80 dB = 83 dB) ; lorsqu’un niveau de bruit est supérieur de 10 dB à un autre, le niveau global est égal au plus élevé des deux (100 dB + 80 dB = 100 dB).
Autre point important : dans le processus de perte d’audition, les fréquences touchées en premier sont situées autour de 4 000 Hz. Or, ce ne sont pas celles du langage : les personnes concernées, entendant toujours les voix, ne se rendent pas compte qu’elles deviennent sourdes. D’autre part, il ne faut pas confondre le niveau de bruit émis, que le fabricant d’une machine donne en « Lw », et le niveau de pression reçue par un opérateur : ce dernier dépend de Lw mais aussi de l’environnement où est située la machine et de la distance entre les deux. 

  • 1Les niveaux sont notés « Lex, 8h » et « Lpc », le L renvoyant au mot anglais level, pour niveau.
  • 2Voir note n° 1.