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Réparation en panne pour le Covid professionnel

par Clotilde de Gastines / 05 janvier 2022

Le tableau de maladie professionnelle sur le Covid s’avère bien trop restrictif pour permettre la reconnaissance des cas survenus au travail. Pour lever cet obstacle, des syndicats et associations de victimes ont déposé des recours au Conseil d’Etat, que ce dernier a rejetés.

Les salariés qui ont contracté le Covid-19 au travail ont bien du mal à obtenir réparation. Certes, il existe un tableau de maladie professionnelle spécifique, le n° 100, depuis septembre 2020. Mais ses critères sont tellement restrictifs que peu de victimes bénéficient d’une reconnaissance de leur pathologie au titre des atteintes liées au travail. Comme en témoigne les chiffres actualisés présentés par l’Assurance maladie-Risques professionnels le 8 décembre dernier : seuls 1 813 personnes, dont 113 décédées, ont bénéficié d’une telle reconnaissance.
Ces 1 813 cas de Covid professionnel reconnus sont à mettre en regard du bilan de l’épidémie en France : 121 000 morts, 8,36 millions de personnes contaminées. Selon le gouvernement, 700 000 personnes souffriraient également de symptômes persistants post-Covid, plus de douze semaines après avoir développé la maladie. Ces 1 813 cas reconnus sont aussi à mettre en regard des 5 142 dossiers déposés par des victimes, considérés comme complets et donc étudiés par les services de l’Assurance maladie-Risque professionnels. En résumé, seuls 35 % d’entre eux ont donné lieu à une décision positive.
Pour être plus précis, après instruction par les caisses primaires d’assurance maladie (Cpam), 1 340 dossiers seulement ont été pris charge au titre du tableau n° 100. Pour les cas ne répondant pas entièrement aux critères de ce dernier, 574 dossiers ont été transmis à un comité de reconnaissance unique, dans le cadre du système complémentaire, débouchant sur 473 avis favorables. L’Assurance Maladie précise que 2908 dossiers n’ont pas été pris en charge « au regard des conditions médicales du tableau » et que 322 dossiers sont en cours de traitement dans les CPam,  

« Manque de transparence »

« Combien de dossiers “ incomplets ” ont-ils été retoqués ? », s’interroge pour sa part Serge Legagnoa de Force Ouvrière. Celui-ci regrette « le manque de transparence sur ces chiffres, surtout au regard du nombre de contaminations des soignants ». La plupart des 5 142 dossiers de reconnaissance complets, 79 % d’entre eux plus précisément, concernent des professionnels de soin. Or, selon Santé publique France, 89 350 professionnels du soin ont été infectés depuis le début de la pandémie, du moins dans les établissements de santé qui acceptent de signaler les cas. On est donc loin d’« une reconnaissance automatique pour tous les soignants et une reconnaissance facilitée pour tous les travailleurs ayant travaillé pendant la période du confinement », annoncée dans un communiqué le 30 juin 2020 par les ministres de la Santé et du Travail.
De là à affirmer que les soignants pourraient se sentir floués. « A l’époque, on n’avait pas de masques pour tout le monde, pas de gel hydro-alcoolique. Alors quand le gouvernement a promis qu’il assurerait nos arrières, les soignants y sont allés ! », rappelle Yves Morice de Sud Santé Sociaux. Sur le terrain, même pour le personnel soignant, la procédure de reconnaissance reste compliquée, quand elle n’est pas entravée, ce qui provoque une sous-déclaration des maladies contractées au travail. « Les établissements mènent des campagnes de découragement en interne », dénonce Yves Morice. L’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) fait toutefois exception, selon lui, car « elle a opté pour une stratégie de reconnaissance systématique au sein de ses commissions de réforme ».
Les organisations syndicales et associations de victimes ne sont pas restées inactives face à ce qu’elles considèrent comme une injustice. Le mercredi 15 décembre, le Conseil d’Etat a étudié huit recours demandant l’annulation pour « excès de pouvoir » du décret du 14 septembre 2020 instaurant le tableau n° 100, ainsi que celle de la circulaire du 18 décembre 2020 et de l’instruction du 6 janvier 2021 qui en définissent l’application. Parmi les requérants figuraient deux associations, Coronavictimes et l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), et plusieurs syndicats ou fédérations issus de la CFDT, de Force Ouvrière et de Solidaires. Ils considèrent tous que les critères de reconnaissance du tableau sont trop restrictifs.

La Covid long absent du tableau

Tout d’abord, la première colonne du tableau, qui définit la maladie, circonscrit la reconnaissance « automatique » aux atteintes pulmonaires provoquées par le SarsCov2 et ne prend donc pas en considération les atteintes liées à un Covid long : fatigue extrême, péricardites ou myocardites, gastrites, troubles cognitifs… A l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, parmi les 292 patients Covid long suivis, 62 % n’ont pas repris leur travail un an après les premiers signes de la maladie, tant les symptômes persistants sont invalidants. Et parmi ceux qui y sont retournés, 98 % exercent à temps partiel seulement.
Une proposition de loi « Covid Long » a bien été votée le 26 novembre dernier par l’Assemblée nationale, qui ne couvre pas la réparation des atteintes liées au travail. Elle prévoit seulement la création d'une plateforme de suivi des malades chroniques du Covid-19, pour les faire bénéficier d'une prise en charge spécifique en termes de soins. En attendant, nombre de malades n’ont d’autre solution que de demander la reconnaissance d’une affection longue durée (ALD), améliorant le remboursement des frais de santé. Mais cette dernière ne couvre pas la perte de revenus liée à la perte de capacité de travail. Les victimes subissent des pertes de salaires, de primes et de cotisations retraite. « On a des personnes qui risquent de rester handicapés à vie, et dont la pension d’invalidité ne couvrira pas tout », déplore Serge Legagnoa de FO.

Des restrictions injustifiées

Ensuite, le tableau n° 100 impose une condition médicale très restrictive et unique en son genre. Il faut que le malade ait été placé sous oxygénothérapie. « Un tableau n’a pas à distinguer un traitement plus qu’un autre, car un traitement, par définition, est soumis à une décision médicale et il évolue dans le temps », estime Michel Parigot, responsable de l’association Coronavictimes. La liste limitative des métiers ouvrant droit à la reconnaissance n’intègre également que les professionnels travaillant en établissement de santé. Pour Michel Parigot, « il faut étendre la reconnaissance à tous ceux qui ont été envoyés travailler pour maintenir le fonctionnement de la société et qui sont exactement dans la même situation que les soignants ». Il réclame la création d’un fonds d’indemnisation sur le modèle de celui dédié aux victimes de l’amiante.
Enfin, les malades qui ne cochent pas les critères du tableau voient leur dossier instruit par un comité unique, composé des spécialistes en pathologies professionnelles, infectiologues et de réanimateurs. « Avec un risque d’inégalités de traitement et, donc, de contentieux », constate Me François Lafforgue, avocat au cabinet TTLA, qui a déposé deux recours, l’un au nom de l’Andeva et le second pour Solidaires. Dans une décision rendue le 30 décembre, le Conseil d'Etat a finalement rejeté les différents recours, avalisant le tableau n° 100 dans sa rédaction actuelle. Le gouvernement n'aura donc pas à honorer sa promesse initiale.

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