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Retraites : Macron veut-il vraiment s’attaquer à la pénibilité ?

par Stéphane Vincent / 05 mai 2022

Pour faire passer l’idée d’un âge de départ en retraite à 65 ou 64 ans, le chef de l’Etat réélu promet des concertations sur les carrières longues et autres mesures compensant l’usure professionnelle. Le bilan « santé au travail » de son précédent quinquennat ne plaide pourtant pas dans ce sens.

64 ou 65 ans, c’est le nouvel horizon projeté par le chef de l’Etat pour l’âge de départ en retraite, horizon critiqué par ses opposants. Ce sera « la » question sociale au cœur du débat des législatives. Selon son promoteur, cette mesure remplirait plusieurs objectifs : équilibre du régime de Sécurité sociale, minimum vieillesse plus généreux… Néanmoins, l’allongement de la vie active demeure difficile à concevoir pour les salariés occupant des métiers pénibles ou ayant commencé à travailler très tôt. En effet, une personne sur deux arrivant à l’âge de la retraite n’est plus en emploi, principalement pour des raisons de santé.
L’écueil n’a pas complètement échappé au président de la République, qui a évoqué pendant la campagne des concertations à venir sur les carrières longues, ou sur des mesures individualisées pour compenser l’usure physique et mentale liée à certaines professions. Après la réélection d’Emmanuel Macron, Elisabeth Borne, ministre du Travail, l’a confirmé le 25 avril dernier sur RTL : l’« usure professionnelle », la « pénibilité » feraient l’objet de discussion.

Compte pénibilité rogné

L’annonce a pu surprendre les observateurs avertis. Car le quinquennat écoulé ne s’est pas distingué par une attention portée aux enjeux de « pénibilité » du travail. Très tôt, Emmanuel Macron a rejeté cette notion, en expliquant ne pas adorer le terme. « Parce que cela donne le sentiment que le travail est pénible », comme il l'a exprimé en 2019. Cela s’est vérifié avec la refonte, dès 2017, du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). Créé sous François Hollande, celui-ci permettait aux salariés exposés à dix facteurs de risques de cumuler des points afin de financer un départ anticipé en retraite, une reconversion, un temps partiel, etc. Avec le nouveau compte professionnel de prévention (C2P), exit la « pénibilité » ! Surtout, quatre facteurs de risque ont été retirés : produits toxiques, vibrations mécaniques, port de charges et postures pénibles. Pourtant, ces expositions professionnelles peuvent causer de graves problèmes de santé, comme les cancers ou les maladies ostéoarticulaires.
Il ne s’agit pas seulement d’une question sémantique. Reconnaître que l’activité professionnelle a des effets sur la santé cadre assez mal avec la volonté du président de la République de faire du travail une valeur positive. Comme il l’a encore exprimé le 1er mai 2022, la « valeur travail était au cœur des cinq années qui viennent de s'écouler et sera au cœur des cinq prochaines ». En outre, admettre ce lien entre conditions de travail délétères et perte d’espérance de vie en bonne santé n’est pas sans conséquences pour les entreprises. Or le quinquennat a été marqué par la volonté de réduire les contraintes pesant sur ces dernières. Et la politique de santé au travail n’a pas échappé à cette dynamique.

Ambition écornée sur le risque chimique

La transformation du C3P en C2P s’est ainsi accompagnée d’une réduction des obligations des entreprises concernant la traçabilité individuelle des expositions, notamment pour les agents chimiques dangereux. La transposition de textes européens encadrant l’exposition des travailleurs à certains toxiques a aussi connu des retards, en raison notamment de la volonté de vérifier l’impact de ces mesures pour les entreprises. La France a revu ses ambitions à la baisse concernant la réglementation protégeant les salariés face au risque chimique : il n’est désormais plus question d’aller au-delà des mesures proposées par l’Europe, comme auparavant. Si le risque chimique a fait l’objet d’un rapport, demandé par le gouvernement, rédigé par Paul Frimat et publié avec retard en août 2018, les préconisations de ce dernier, portant en partie sur un contrôle plus strict des entreprises, attendent toujours d’être mises en œuvre.
Les ordonnances travail de 2017 sont un autre exemple. La fusion des instances représentatives du personnel (IRP), qui a conduit à la création du CSE et à la disparition du CHSCT, visait aussi à simplifier la vie des entreprises et permettre une meilleure articulation des différents sujets traités par les IRP. Selon le rapport d’évaluation desdites ordonnances, rendu fin 2021, cette fusion s’est bien soldée par une diminution du nombre de réunions. Mais la prévention des risques professionnels en a pâti, à cause d'une distance accrue entre les élus du personnel et le terrain.

Moins d’obligations pour les entreprises

Dernier épisode en date, la réforme de la santé au travail, actée dans la loi du 2 août 2021. En dépit de son approbation par la quasi-totalité des confédérations syndicales, les professionnels de la prévention ont exprimé des craintes. L’éloignement de la scène du travail est là encore en jeu, alimenté par l’espacement des visites, le recours accru à des généralistes, un cloisonnement des activités. Certains médecins du travail redoutent d’être cantonnés dans un suivi médical au rabais, faute d’un accès aux entreprises et aux postes occupés par les salariés. Un sésame sans lequel il est plus complexe de diagnostiquer les risques et inciter les employeurs à la prévention primaire. Alors que déjà, nombre de professionnels de la santé au travail constatent qu’ils ont bien du mal à obtenir les aménagements demandés pour préserver les salariés.
En réduisant les obligations pesant sur les entreprises et en éloignant les préventeurs du terrain, la politique des cinq dernières années a rendu plus difficile l’objectivation des facteurs de risque et la mise en place de mesures adaptées. Cela a réduit in fine la possibilité de travailler plus longtemps pour les salariés exposés à des contraintes délétères. Lorsqu’Emmanuel Macron dit vouloir prendre en compte la pénibilité, a-t-il en tête de redonner aux acteurs de prévention les moyens qui leur font défaut, de responsabiliser davantage les entreprises sur la nécessité d’offrir un travail soutenable à leurs salariés ? Sans une amélioration notable et durable des conditions de travail, et un engagement réel des pouvoirs publics en ce sens, la réforme des retraites ne fera que renforcer des inégalités sociales de santé déjà importantes.
Le chef de l’Etat a indiqué que son nouveau mandat ne serait pas « la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux ». Est-il vraiment prêt à changer de méthode et à renoncer à l’exercice solitaire du pouvoir ? Si Elisabeth Borne a parlé de concertations sur les retraites, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a lui déclaré que l’usage du 49.3 n’était pas exclu pour faire passer la réforme. Qui faut-il croire ?