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Le blues des managers

par Stéphane Vincent François Desriaux / avril 2013

Les cadres aussi souffrent au travail. Alors qu'ils ont fait les frais de la vague médiatique sur le harcèlement moral dans les années 1990, ils sont aujourd'hui eux-mêmes victimes de dépression, de burn out et parfois poussés au suicide.

Il faut dire qu'ils ont beaucoup perdu : de chefs (petits ou grands) investis de pouvoirs arbitraires et de l'autorité, ils sont devenus managers ou encadrants de proximité, soumis comme leurs collaborateurs à de multiples pressions liées à la demande, à l'interdépendance des organisations et au contrôle de systèmes de reporting de plus en plus exigeants. L'encadrement autonome s'est réduit comme peau de chagrin et a laissé place à l'encadrement contraint.

Accaparés par l'alimentation de la "machine de gestion", censés motiver leurs troupes à l'aide de la bonne parole de la direction, les managers sont de plus en plus coupés du travail réel. Et de moins en moins en capacité d'aider leurs équipes à résoudre les difficultés de l'activité, d'arbitrer entre les injonctions contradictoires que sont la productivité à augmenter, la qualité à maintenir, le service au client à satisfaire, les coûts à maîtriser...

Le salut, pour eux-mêmes et pour leurs collaborateurs, passe par la reconquête de marges de manoeuvre. Plus sûrement que par des formations au "bon management".

"Notre regard a changé depuis vingt ans"

par Frédéric Lavignette / avril 2013

Selon Jean Kasperski, militant CFE-CGC, la montée du stress et de ses effets sur la santé des managers a poussé la confédération de l'encadrement à faire de la santé au travail un axe important de sa politique revendicative.

Quel diagnostic portez-vous sur la santé au travail des cadres encadrants aujourd'hui ?

Jean Kasperski : Comme le révèle notre baromètre "Stress, conditions de travail et qualité de vie au travail", mis en place depuis 2003 au sein de la CFE-CGC, les cadres, depuis une vingtaine d'années, sont atteints par le stress professionnel. Derrière ce terme générique se cache une grave dégradation des conditions de travail, qui peut mener parfois au suicide. Avant d'en arriver là, un long cheminement s'opère toutefois : il démarre par le constat d'une mise à l'écart des prises de décision et d'une rupture du dialogue. Négligé par sa hiérarchie, le cadre peut se sentir isolé, d'où le début de sa dérive. Dans un deuxième temps, il peut en venir à se doper, en commençant par de simples médicaments. Puis cela peut aller jusqu'à la démission, dans tous les sens du terme : soit il rend son tablier, soit il adopte une solution plus radicale.

Comment intervenez-vous sur la question du stress ?

J. K. : En tant que syndicat, notre rôle et notre regard ont changé depuis vingt ans. Si j'osais un parallèle, je comparerais notre démarche à celle des sauveteurs secouristes du travail, dont la fonction n'est pas de soigner les plaies mais de gérer les personnes blessées en attendant les secours. On propose par exemple aux cadres de suivre des formations auprès de professionnels, notamment en prévention des risques psychosociaux. Nous ne leur donnons pas de solutions immédiates, mais plutôt une démarche qui leur permettra de s'en sortir. Ils se rendent aussi compte que le problème est complexe et que le stress atteint également les salariés de base. Les exemples montrent qu'après leur formation, les cadres sont plus réceptifs à certaines situations, comme s'ils devenaient sensibles à l'environnement dont ils sont eux-mêmes les gardiens.

L'autre démarche que nous entreprenons est plus politique et se situe au niveau fédéral, voire confédéral, de notre syndicat. Elle s'attache à définir un axe en matière de gestion du travail, une stratégie d'approche globale. Elle implique des rencontres avec des élus ou des dirigeants, pour qu'ils contribuent à certaines prises de décision. De cette manière, peut-être viendra le jour où le stress au travail sera enfin reconnu comme une maladie professionnelle. On a des années de bataille devant nous avant d'y arriver, mais le fait de pouvoir en parler aujourd'hui dans différentes instances, c'est déjà une victoire.

Le syndicalisme de l'encadrement est-il en meilleure position pour impulser une amélioration des conditions de travail ?

J. K. : C'est aussi difficile que pour les autres organisations syndicales. Une bonne gestion de la pénibilité du travail des cadres peut toutefois profiter à l'ensemble des salariés. Sur ce point, notre démarche coïncide avec celle des autres organisations syndicales chez lesquelles il existe une section consacrée aux cadres.

Les avancées sociales sont un travail de tous les jours et pour faire avancer l'ensemble, ce qui compte surtout, c'est l'aide du gouvernement. Cela dit, ce n'est pas à nous, syndicats, que devrait revenir la tâche de sensibiliser nos dirigeants aux questions de la pénibilité au travail. Cet éveil devrait plutôt commencer très tôt, directement dans les universités ou les écoles d'ingénieurs. Il faut faire comprendre aux futurs dirigeants qu'il existe dans le travail une variable qui s'appelle l'homme, lequel doit être pris en compte avant même la technique.