© Adobe Stock
© Adobe Stock

Veille juridique

par Jacques Darmon Médecin du travail / 31 janvier 2024

Dans cette veille juridique du second semestre 2023, on retiendra notamment la création du fonds d’investissement pour la pénibilité, doté d’un budget de 200 millions d’euros pour l’année 2024, et des ambitions contrariées concernant l’amélioration de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Un fonds d’investissement pour la pénibilité

Par arrêté du 4 décembre 2023, la dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la Sécurité sociale au fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu), prévu à l'article L. 221-1-5 du Code de la Sécurité sociale, a été fixée à 30 millions d’euros pour l’année 2023 et à 200 millions pour l’année 2024.
C’est le décret n° 2023-759 du 10 août 2023 qui a défini les modalités de mise en œuvre du Fipu, créé par l’article 17 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023. Ce fonds est destiné à la réalisation par les employeurs d'actions de sensibilisation et de prévention, d'actions de formation et de reconversion ainsi que de prévention de la désinsertion professionnelle à destination des salariés particulièrement exposés à certains facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4161-1 du Code du travail, à savoir les contraintes physiques marquées : manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques. On peut quand même regretter que les autres facteurs de risques mentionnés à ce même article et qui constituent eux aussi des facteurs d’usure professionnelle, comme les expositions à un environnement physique agressif (agents chimiques dangereux, travail à la chaleur ou au froid, nuisances sonores), ou encore à certains rythmes de travail (travail de nuit, en équipes alternantes, travail répétitif), aient été écartés. 
La gestion de ce fonds est confiée aux partenaires sociaux, dans le cadre de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP) de la Caisse nationale de l’assurance maladie. Celle-ci devra déterminer chaque année les orientations pour l’attribution des financements du Fipu et en contrôler le budget. L’attribution de crédits aux employeurs se fera sur la base d’une cartographie des métiers exposant à des contraintes physiques marquées qui devrait remonter des branches professionnelles, quitte à compléter cette cartographie avec l’appui d’un comité d’experts, notamment en cas de carence des branches professionnelles.
Parmi les aspects opérationnels de ce fonds d’investissement, on retiendra qu’il pourra subventionner les entreprises qui souscrivent à des conventions nationales d’objectifs visant à réduire les risques professionnels. Il est aussi prévu qu’il puisse participer financièrement à des aménagements de poste préconisés par les médecins du travail au titre de l’article L. 4624-3 du Code du travail pour des salariés exposés aux contraintes physiques marquées.

Les malades aussi ont droit aux congés payés !

Ce n’est pas faute d’avoir prévenu. Depuis de nombreuses années, par l’intermédiaire de ses rapports annuels, la Cour de cassation appelait à une réforme législative s’agissant du droit aux congés payés au cours des périodes d’arrêt maladie, afin de supprimer la contrariété qui existait entre notre droit interne et la directive européenne 2003/88/CE (article 7). Celle-ci, en effet, ne soumet aucunement les congés à une quelconque condition de présence dans l’entreprise. Il existe aussi la Charte des droits fondamentaux (article 31) qui érige le droit au repos comme un droit fondamental. A défaut d’avoir été entendue par le législateur, la formation plénière de la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts, le 13 septembre 2023, avec un fort écho médiatique et, en prime, une publication au Bulletin d’information de la Cour, ainsi qu’à son prochain rapport annuel. Difficile de passer inaperçu.
Le premier de ces arrêts (Cass. soc. n° 22-17341) est relatif à l’acquisition de congés payés durant une absence maladie d’origine non professionnelle. La haute juridiction, en contradiction avec les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail, a suivi une cour d’appel qui avait jugé que les salariés, en absence pour maladie d’origine non professionnelle, avaient droit, durant la période d’arrêt, à l’acquisition de congés payés (deux jours et demi par mois). Le deuxième arrêt (Cass. soc. pourvoi n° 22-17638) a trait à l’acquisition de congés payés durant une absence en raison d’une atteinte due à un accident du travail ou une maladie professionnelle, dont l’article L. 3141-5 (5°) en limite l’acquisition à seulement un an. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel qui a débouté le salarié de sa demande d’acquisition de congés au-delà de cette période d’un an, toujours selon les principes européens.
Ainsi, les salariés dont l’arrêt est en cours pourront donc demander la mise en œuvre de ces jurisprudences (la cour d’appel de Paris et celle de Versailles ont déjà rendu des arrêts dans ce sens). Pour les salariés ayant repris leur travail ou dont le contrat est rompu, il sera possible de les recouvrir, au minimum pour ceux dont les arrêts ont eu lieu dans les trois ans précédents, durée de la prescription. Cette évolution a fait causer dans les chaumières, notamment patronales, qui se sont plaintes du surcoût que va nécessairement entraîner cette jurisprudence… La faute à l’Europe en quelque sorte !

De nouveaux tableaux de maladies professionnelles

Les organisations syndicales devront attendre encore un peu pour voir aboutir leur revendication de création d’un tableau de maladie professionnelle sur la leucémie myéloïde en lien avec une exposition au formaldéhyde. Face à l’opposition des organisations patronales, le ministère du Travail a annoncé, le 25 janvier dernier, à l’occasion de la réunion de la commission spécialisée sur les maladies professionnelles du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), qu’il reprenait la main sur ce dossier. Pour mémoire, le formaldéhyde a été classé cancérogène pour l’homme en 2012 par le Centre international de recherche sur le Cancer (Circ). L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dans son avis daté de février 2023, a de son côté confirmé le lien avéré entre l’exposition et la leucémie myéloïde et a recommandé la création d’un tableau de maladie professionnelle.  
Les deux derniers décrets créant des tableaux de maladies professionnelles sont ceux consacrés aux cancers du larynx et des ovaires en lien avec une exposition professionnelle à l’amiante. Le premier décret n° 2023-773, en date du 11 août 2023, crée le tableau n° 47 ter dans le régime agricole. Le deuxième décret, n° 2023-946 du 14 octobre 2023, rajoute un tableau 30 ter aux deux tableaux déjà consacrés à l’amiante pour le régime général. La création de ces tableaux fait suite à un rapport d’expertise de l’Anses publié en janvier 2022. 
A plus long terme, l’Anses a été saisie par les ministères du Travail et de l’Agriculture d’une expertise sur la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) dont des études ont montré que les expositions professionnelles étaient responsables de 15 % de ces pathologies, avec, en particulier, une forte exposition des ouvriers du BTP. Enfin, à plus long terme encore, la CFDT a annoncé vouloir saisir l’Anses sur les cancers du sein en lien avec des expositions professionnelles, dont certaines – les expositions aux radiations ionisantes et à l’oxyde d’éthylène – sont reconnues comme des cancérogènes avérés par le Circ, le travail de nuit l'étant comme agent cancérogène probable.

Rappel de la Cour de cassation sur le harcèlement moral 

Dans un arrêt inédit du 4 octobre 2023 (Cass. soc. n° 22-15269), la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle deux principes jurisprudentiels. D’une part, même en l’absence de reconnaissance du harcèlement moral, il est possible qu’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité soit reconnu s’il n’a pas diligenté une enquête en cas de plainte d’un salarié relative à un harcèlement moral. De façon plus large d’ailleurs, le manquement à l’obligation de sécurité est indépendant de la prohibition du harcèlement moral. Les dommages et intérêt alloués aux victimes pour ces deux chefs de demandes peuvent donc se cumuler. D’autre part, un salarié dénonçant un harcèlement moral est protégé, en particulier contre le licenciement, par les dispositions de l’article L. 1252-2 du Code du travail, même si le harcèlement moral n’est finalement pas reconnu… à condition toutefois qu’il ne l’ait pas fait de mauvaise foi, c’est-à-dire en ayant conscience de la fausseté des faits qu’il dénonçait.

L’amélioration de l’indemnisation des AT-MP dans l’attente

Finalement, l’ex-ministre du Travail Olivier Dussopt n’a pas souscrit à la demande des partenaires sociaux de réintroduire dans la loi de financement de la Sécurité sociale, promulguée le 26 décembre dernier, un nouvel article 39 modifiant la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP). 
On se souvient que cet article censé retranscrire une disposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) signé le 15 mai 2023 à l’unanimité par les partenaires sociaux, laquelle souhaitait une amélioration de la réparation forfaitaire des AT-MP par l’introduction d’un mécanisme d’indemnisation du déficit fonctionnel permanent dans la rente servie à l’assuré, avait finalement déclenché une protestation unanime des organisations syndicales. Celles-ci estimaient que la transposition dépassait les termes de l’accord car elle entraînait une réduction de l’indemnisation complémentaire des victimes en cas de faute inexcusable de l’employeur (FIE). Pour autant, selon Olivier Dussopt, la nouvelle rédaction de l’article 39 proposée par les partenaires sociaux ne règle pas les problèmes à l’origine de la demande de retrait de cet article. « La première difficulté réside dans l’absence de clarification de la portée de l’ANI quant à l’indemnisation des préjudices résultant de la faute inexcusable de l’employeur (...) qui continue de faire l’objet d’une divergence », écrit l’ex-ministre du Travail dans un courrier adressé aux partenaires sociaux en date du 16 novembre. Il souhaite donc une poursuite des « discussions afin de sécuriser la rédaction » en les partageant avec « les associations représentant les victimes des accidents du travail et de l’amiante », avant de pouvoir transposer ces dispositions dans un prochain véhicule législatif. Selon nos informations, le comité de suivi de l’ANI du 15 mai a entamé une série de travaux et de consultations dans cette perspective. 
Quant à la Cour de cassation, elle continue de conseiller de faire évoluer, dans un sens plus favorable aux victimes, la réparation des AT-MP, en cas de faute inexcusable de l’employeur. Ainsi, dans son rapport annuel 2022, publié en septembre 2023, la Cour revient sur une proposition qu’elle fait régulièrement depuis 2010 et propose une nouvelle rédaction de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale : « Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation de l’ensemble des préjudices qui ne sont pas indemnisés pour l’intégralité de leur montant par les prestations, majorations et indemnités prévues par le présent livre. »

Vive le Conseil constitutionnel !

Moins spectaculaire et moins attendue que la décision du Conseil constitutionnel en date du 25 janvier 2023 à propos de la loi « immigration », celle de cette instance relative à l’article 63 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) n’en revêt pas moins un caractère salvateur. Le 21 décembre dernier, les « sages » ont censuré la disposition permettant à un médecin diligenté par l’employeur de remettre en cause la justification d’un arrêt de travail prescrit par le praticien de l’assuré, sans avoir à procéder à l’examen médical de ce dernier, et de le priver ainsi du versement d’indemnités journalières et ce sans l’intervention préalable du service du contrôle médical de la Sécurité sociale. Ils ont estimé que ce texte contrevenait au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.